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09 février 2023

"BOUQUINAGE" - 144

"Une fois abolies l'armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l'ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l'outil spirituel de l'oppression, le pouvoir des prêtres ; elle décréta la dissolution et l'expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l'instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d'instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et en même temps débarrassés de toute ingérence de l’Église et de l’État."

 

 

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29 janvier 2023

"BOUQUINAGE" - 133

"Succès d'édition immédiats, la trilogie de J.R.R. Tolkien mais aussi les romans de C.S. Lewis exercent une influence considérable dès leur sortie, notamment sur la génération contestataire des années 1960. La publication du Seigneur des anneaux correspond au moment où la plupart des pays occidentaux assistent, sous les effets conjugués de l'exode rural, de la mécanisation massive de l'agriculture et du remembrement, à la disparition des sociétés paysannes. Advenue en seulement quelques décennies, cette rupture fondamentale avec des structures sociales qui existaient depuis un millénaire crée un sentiment de vide qui pousse à la production d’œuvres célébrant les communautés rurales traditionnelles. Les historiens s'intéressent ainsi à ce “monde que nous avons perdu” pour reprendre le titre de l'ouvrage de Peter Laslett consacré à la paysannerie anglaise paru en 1965. En France et en Belgique, des bandes dessinées comme Les Schtroumpfs (1958) et Astérix (1959), deux œuvres que l'on peut inscrire dans la fantasy, publiées seulement quelques années après Le seigneur des anneaux, répondent également aux angoisses provoquées par l'urbanisation, l'artificialisation et l'industrialisation en mettant en scène des petites sociétés villageoises et magiques vivant au milieu d'une forêt. Celles-ci tentent de survivre face à un monde globalisant ou terrifiant, incarné soit par les humains dans l’œuvre de Peyo, soit par les Romains dans celle de Goscinny et Uderzo. Dans Le domaine des dieux (1971), le village gaulois où vivent Astérix et Obélix, nouveaux Wolfings, est par exemple confronté à un entrepreneur romain qui souhaite remplacer la forêt alentour par un complexe hôtelier et touristique. Ce récit fait écho aux premiers projets de centres commerciaux dans la campagne proche de Paris, comme Parly 2 ouvert en 1969 à côté de Versailles. La ville modèle pensée par l'architecte Anglaigus n'a en fait que pour but de détruire le mode de vie communautaire et solidaire des villageois en les transformant en petits entrepreneurs, vendeurs de souvenirs pour des touristes venus de la Cité éternelle. Au même moment, Le Hobbit puis Le seigneur des anneaux sont traduits et publiés en France, respectivement en 1969 et 1972-1973."

 

 

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21 janvier 2023

"BOUQUINAGE" - 125

"Qui dit fortune dit droit de polluer. Les 10 % des plus riches à l'échelle de la planète sont responsables de la moitié des émissions totales de gaz à effet de serre. La symétrie entre richesse et émissions est presque parfaite. Cette “élite de la pollution” pollue 4 fois plus que la moitié la plus pauvre de l'humanité.

L'injustice de cet “apartheid planétaire” est double : les riches polluent et les pauvres subissent. Le pêcheur somalien qui voit son poisson se raréfier et le niveau de la mer monter n'a probablement jamais pris l'avion ; il n'a participé ni au réchauffement dont il a hérité, ni à la surpêche. Pourtant, il en paiera pleinement le prix, et parmi les premiers. Ce sont les populations les plus vulnérables, à commencer par celles des pays les plus pauvres qui boivent l'eau polluée, respirent des fumées toxiques, vivent près des décharges, souffrent des inondations et des canicules, etc. La notion d'Anthropocène masque de profondes inégalités : même si nous sommes tous de la même espèce, nous ne sommes égaux ni en termes de responsabilité ni en dangers encourus face aux catastrophes écologiques d'aujourd'hui et de demain.

Disons-le clairement : l'effondrement écologique n'est pas une crise, c'est un tabassage. Le dérèglement climatique est une “violence lente” et diffuse, une usure qui s'exerce progressivement et hors de vue, aujourd'hui principalement contre les populations les plus paupérisées, mais qui va peu à peu remonter l'échelle sociale. Cette situation n'a rien à voir avec une supposée nature humaine, elle est plutôt le symptôme d'une organisation sociale spécifique, étroitement liée à une certaine vision politique du monde.

(...)

La cause première du déraillement écologique n'est pas l'humanité mais bien le capitalisme, l'hégémonie de l'économique sur tout le reste, et la poursuite effrénée de la croissance.

(...)

L'économiste Serge Latouche reprend dans ses écrits la terminologie de Hannah Arendt et parle de “banalité économique du mal” : un système qui orchestre le massacre du vivant tout en diluant les culpabilités de ceux qui en sont responsables.

(...)

Cette violence est un phénomène émergent, une sorte de désordre spontané que personne n'a directement anticipé et qu'entretiennent jusqu'à l'absurde nos comportements sociaux les plus anodins. Il faut rembourser un prêt, payer une facture, satisfaire les actionnaires, faire du chiffre ; nous sommes otages d'un système qui prédétermine en partie des comportements qui seraient autrement jugés immoraux.

(...)

Le problème n'est pas l'existence de l'économie en soi (toute société a toujours organisé d'une manière ou d'une autre ses activités productives), mais bien les règles que nous lui donnons aujourd'hui ainsi que l'objectif central qui l'anime: la croissance."

 

 

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15 janvier 2023

"BOUQUINAGE" - 119

"Je n'oublierai jamais la première fois que j'ai vu les gardes rouges partir au combat. Un vent cruel balayait les vastes rues et projetait la neige contre les bâtiments austères. La température était de vingt-cinq degrés en dessous de zéro, j'étais frigorifiée sous mon manteau de fourrure. Je les vis arriver en une masse extraordinaire, déterminée, avec leurs minces manteaux en lambeaux et leurs visages livides aux traits tirés. Ils étaient des milliers ! Les cosaques marchaient sur Petrograd. La ville s'était soulevée pour les repousser. Des flots d'ouvriers sortaient des usines pour constituer spontanément une armée du peuple, puissante, avec des hommes, des femmes et des enfants. En son sein, je vis des garçons qui n'avaient pas plus de 10 ans.

Nous étions debout sur les marches de la Douma municipale quand l'un des membres, un cadet, me dit : “Regardez ces voyous... Ils vont courir comme des lapins. Pensez-vous que de tels va-nu-pieds puissent se battre ?”

Je ne répondis rien. Je pensais à beaucoup de choses, dont certaines m'avaient marquée profondément dans l'enfance. Pour la première fois, j'avais clairement à l'esprit le spectacle de Washington et de son armée de soldats déguenillés et mourant de faim à Valley Forge... Je ressentis tout à coup que la révolution devait vivre, malgré une défaite militaire momentanée, malgré les conflits intérieurs. Les gardes rouges me firent réaliser que l'Allemagne ne pourrait jamais conquérir la Russie dans les cent prochaines années..."

 

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30 décembre 2022

"BOUQUINAGE" - 103

"Frida était une femme remarquable par la beauté, le tempérament, et l'intelligence. Elle prit assez vite, dans ses relations avec Trotsky, des manières assez libres. Son français était pauvre, mais elle parlait bien l'anglais, ayant vécu assez longtemps aux Etats-Unis, lorsque Diego y peignait ses fresques. Aussi s'entretenait-elle avec Trotsky le plus souvent en anglais, et Natalia qui ne parlait pas du tout l'anglais, se trouvait ainsi exclue de la conversation. Frida n'hésitait pas, un peu à la manière américaine, à brandir le mot “love”. “All my love”, disait-elle à Trotsky en le quittant. Trotsky, apparemment, fut pris au jeu. Il se mit à lui écrire des lettres. Il glissait la lettre dans un livre et remettait le livre à Frida, souvent en présence d'autres personnes, y compris Natalia ou Diego, en lui recommandant de le lire. Je ne savais, bien entendu, rien de ce manège à ce moment-là ; c'est Frida qui me raconta tout cela plus tard.

Ceci se passait quelques semaines après la fin des audiences de la commission Dewey. Fin juin, la situation devint telle que ceux qui se trouvaient tout près de Trotsky commençaient à s'inquiéter. Natalia souffrait. Diego, lui, ne se doutait de rien. C'était un homme d'une jalousie maladive et le moindre soupçon de sa part aurait provoqué une explosion. On imagine le scandale et ses graves répercussions politiques. Jan Frankel, si mes souvenirs sont exacts, se hasarda à parler à Trotsky des dangers que présentait la situation.

Début juillet, pour mieux lutter contre la tension qui montait entre eux, Trotsky et Natalia décidèrent de se séparer pour un certain temps. Trotsky alla s'installer dans l'hacienda d'un propriétaire foncier, Landero, qu'Antonio Hidalgo et Diego Rivera connaissaient. C'était près de San Miguel Regla, à quelque cent trente kilomètres au nord-est de Mexico, un peu au-delà de Pachuca. Trotsky vivait là avec Jesús Casas, le lieutenant de police qui commandait la petite garnison de l'Avenida Londres, et Sixto, un des deux chauffeurs de Diego Rivera. Il pouvait pêcher et faire du cheval. Il y arriva le 7 juillet. Natalia était restée à Coyoacán. Le 11 juillet, Frida vint voir Trotsky dans l'hacienda. Je suis assez porté à croire que c'est à l'issue de cette visite que Trotsky et Frida décidèrent de mettre fin à leurs relations amoureuses. On s'était jusque-là laissé glisser sur la pente savonnée du flirt. On ne pouvait désormais aller plus loin sans s'engager à fond. L'enjeu était trop grand. Les deux partenaires reculèrent. Frida restait très attachée à Diego, et Trotsky à Natalia. De plus, les conséquences d'un scandale pouvaient aller fort loin."

 

 

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28 décembre 2022

"BOUQUINAGE" - 101

"Les faits sont là : il faut mille fois plus de paperasse pour entretenir une économie de marché libre que la monarchie absolue de Louis XIV.

Les politiques conçues pour réduire l'ingérence de l’État dans l'économie finissent en réalité par produire plus de réglementations, plus de bureaucrates, plus d'interventions policières ! Cet apparent paradoxe s'observe si régulièrement que nous sommes en droit, je pense, de l'élever à la dignité de loi sociologique générale. Je propose de l'appeler la “loi d'airain du libéralisme”, et de la formuler ainsi :

Loi d'airain du libéralisme. Toute réforme du marché – toute initiative gouvernementale conçue pour réduire les pesanteurs administratives et promouvoir les forces du marché – aura pour effet ultime d'accroître le nombre total de réglementations, le volume total de paperasse, et l'effectif total des agents de l’État."

 

 

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27 décembre 2022

"BOUQUINAGE" - 100

"Tel que nous le définissons plus précisément, le romantisme est une critique culturelle, ou une révolte, contre la modernité capitaliste-industrielle au nom de valeurs passées, prémodernes ou précapitalistes. En tant que vision du monde, il est présent dans toute une série de créations culturelles: littérature et art, religion et philosophie, théorie politique, historiographie, anthropologie, et même économie politique. Il perçoit dans l'avènement de la société bourgeoise moderne une perte décisive de valeurs humaines, sociales et spirituelles qui existaient dans un passé réel ou imaginaire - le Moyen Âge, la Grèce homérique, le communisme primitif, et autres.

La contestation romantique s'inspire toujours de valeurs précapitalistes -sociales, culturelles ou religieuses- et se caractérise par la nostalgie d'un paradis perdu, d'un âge d'or du passé. Mais cela ne signifie pas qu'elle soit toujours réactionnaire et rétrograde. Le romantisme peut prendre des formes régressives, rêvant d'un retour imaginaire au passé, mais aussi des formes révolutionnaires qui aspirent à une utopie future faisant un détour par le passé.

(...)

La perspective romantique est donc en contradiction directe avec ce que l'on a appelé “le régime moderne d'historicité”, fondé sur la croyance que le “Progrès” est inévitable et sur le rejet du passé prémoderne comme “archaïque”.

(...)

Comme nous l'avons déjà suggéré, le romantisme ne conteste pas toujours le système capitaliste dans son ensemble, mais réagit souvent à un certain nombre de traits de la modernité qu'il trouve particulièrement odieux et insupportables. Voici quelques exemples marquants -dans une liste qui est loin d'être exhaustive- de composantes caractéristiques et interdépendantes de la civilisation moderne fréquemment déplorées ou dénoncées dans les œuvres romantiques :

1) Le désenchantement du monde. (...)

2) La quantification du monde. (...)

3) La mécanisation du monde. (...)

4) La dissolution des liens sociaux. (...)

 

À cette liste de thèmes romantiques prédominants, il convient d'ajouter celui qui est au centre de cette étude : la destruction de la nature. Le gaspillage, la dévastation et la désolation infligées à l'environnement naturel par la civilisation industrielle sont souvent un motif profond de tristesse et de colère romantique. Elle est intimement liée aux quatre objets précédents de la protestation romantique. Nostalgiques de l'harmonie perdue entre l'homme et la nature, consacrant parfois la nature comme l'objet d'un culte mystique, de nombreux romantiques ont observé avec mélancolie et désespoir les progrès de la mécanisation et de l'industrialisation, la conquête moderne de l'environnement qui a conduit à la disparition des espaces sauvages et à la défiguration de beaux paysages. L'empoisonnement de la vie sociale par l'argent et l'empoisonnement de l'air par la fumée industrielle sont compris par certains romantiques comme des phénomènes parallèles, issus de la même racine perverse - la domination impitoyable de l'utilitarisme et du mercantilisme, le pouvoir dissolvant du calcul quantitatif. Dans le monde capitaliste désenchanté, la nature cesse d'être un royaume magique et spirituel, une création divine ou la splendeur sacrée de la beauté. Les forêts, les rivières et les paysages sont réduits à l'état de matières premières, exploitées jusqu'à épuisement."

 

 

 

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23 décembre 2022

"BOUQUINAGE" - 96

"Une révolution, cela ne veut pas dire des drapeaux rouges et des barricades dans les rues, mais une refonte totale de l'exercice du pouvoir.

(...)

L'initiative doit venir d'en bas. Ce qui implique le surgissement de quelque chose qui n'a jamais existé en Angleterre, à savoir un mouvement socialiste activement soutenu par la grande masse de la population."

 

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