19 octobre 2018
Le succès du PTB
Les soirées électorales ont une particularité en Belgique : beaucoup de responsables politiques sont invités à s'exprimer et, finalement, il en ressort que tout le monde a gagné ! Il faut croire que la totalité des votes exprimés n'égale pas 100 % mais 150 % ! Et puis, l'avantage d'un scrutin local est qu'il y a autant d'élections que de communes : 589. Il est donc toujours possible de s'appuyer sur tel ou tel «bon résultat » pour crier victoire...
Chacun a naturellement le droit d'avoir sa recette pour se remettre d'une gueule de bois post-électorale, méthode Coué y comprise. Mais les faits sont têtus : ce 14 octobre, les trois familles politiques traditionnelles se sont tassées, pour le dire gentiment. Et ce sont les écologistes et le PTB qui ont marqué des points en accumulant des voix et des sièges.
Certes, parler de «raz de marée», comme de nombreux commentateurs, est peut-être un tantinet exagéré. Ces formations n'ont pas obtenu la majorité absolue et ne sont pas les premières du pays ou des entités fédérées respectives. Mais leurs progrès sont nets et incontestables, et personne ne les conteste vraiment, pas même leurs concurrents.
Il faut toutefois établir une distinction entre le «succès» des «Verts» et celui des «Rouges».
Ecolo est un parti déjà «installé». Il était partie prenante de plusieurs majorités communales -et parfois non des moindres, comme à Namur «capitale de la Wallonie»- et il disposait même de bourgmestres. Ce n'est pas le cas du PTB, évidemment. De plus, ce dernier se présentait dans un nombre limité de villes. Dans bien des cas, les électeurs qui voulaient voter pour lui devaient donc choisir un autre parti, Ecolo y compris, voire s'abstenir ! Il est d'ailleurs à noter que, dans de nombreuses communes où le PTB avait déposé une liste, le progrès d'Ecolo est moindre. Le PTB devance même celui-ci dans les deux plus grandes villes de Wallonie, Charleroi et Liège : respectivement 15,73 % contre 7,39 % et 16,32 % contre 14,75 % !
La question centrale qui taraude maintenant un paquet d'observateurs et d'acteurs politiques est celle de savoir si le PTB va/veut entrer dans des majorités communales «progressistes». Par exemple à Molenbeek où le PS conquérant de Catherine Moureaux a d'emblée proposé une alliance aux amis de Raoul Hedebouw. Par exemple à Liège, Charleroi et La Louvière, où le PS -qui détient la main- a invité le PTB à des rencontres bilatérales.
Il est évident qu'il existe, derrière cette agitation, une volonté de piéger le parti de la gauche radicale, en voulant publiquement démontrer que celui-ci ne veut pas «prendre ses responsabilités» !
Mais le PTB n'est pas né de la dernière pluie ; il a répondu favorablement aux diverses invitations afin de discuter concrètement de la possibilité de constituer des majorités inédites en Wallonie et à Bruxelles.
Qu'en penser ?
Le PTB veut impulser des politiques de rupture avec le passé et il a raison.
Comme beaucoup, je n'ai pas voté pour ce parti afin qu'il contribue à mettre en oeuvre les mêmes orientations que celles des «écologistes» et des «socialistes», souvent dans le cadre de coalitions avec la droite ! Pour poursuivre dans la même voie, il suffisait alors de voter directement pour le PS ou Ecolo !
Néanmoins, ce serait une erreur de fermer, par principe, la porte à toute perspective de «majorité progressiste» ou d'entamer délibérément une partie de poker menteur dans le but de faire porter le chapeau d'un échec aux autres interlocuteurs !
Des compromis sur un projet socialement et écologiquement stimulant sont peut-être envisageables et doivent être tentés, notamment à Molenbeek où le rapport de forces est meilleur qu'à Charleroi où le PS a d'ores et déjà la majorité absolue en sièges !
Attention toutefois, il y a une différence entre compromis et compromissions, et on doute que le PTB s'engage plus avant s'il s'agit de prendre le contre-pied des objectifs qu'il a défendus pendant la campagne électorale, au risque évident de se décrédibiliser !
Les mouvements en cours sont donc particulièrement intéressants, pas seulement pour conclure éventuellement aujourd'hui, mais aussi dans une perspective future, après les élections régionales, fédérales et européennes de mai 2019.
Car sur la base des résultats engrangés ce 14 octobre, au niveau provincial, un «gouvernement des gauches» est mathématiquement envisageable en Wallonie.
Restera à vérifier la compatibilité programmatique indispensable pour une telle issue !
Mais à chaque jour suffit sa peine...
@
12:31 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
07 octobre 2018
Un vote pour un programme de rupture !
Dans quelques jours, les élections communales ; dans quelques mois, les élections législatives et les élections européennes. Comment se positionner en Belgique face à ces échéances politiques ? Je ne développerai pas ici mon point de vue sous la forme d'un «article» classique mais sous la forme -plus dynamique- d'un «entretien» avec... un interlocuteur fictif.
Les sondages ont toujours beaucoup de succès, surtout à l'approche d'une échéance électorale nationale. Que t'inspire celui réalisé pour Le Soir-RTL Info et publié la semaine dernière ?
Un intérêt tout-à-fait relatif. En France, un Jean-Luc Mélenchon préfère parler -ironiquement- d' «horoscopes». Cette expression me convient. Ils vous arrachent un sourire ou on les prend au sérieux ! Et dans ce deuxième cas de figure, ils favorisent de vives préoccupations et débouchent sur des extrapolations sans fin, bref ils perturbent. Il est toujours amusant d'entendre des responsables de partis (ou des observateurs) répéter qu'un sondage doit être relativisé car il n'est jamais qu'une «photographie» d'une réalité à un moment donné, et ces mêmes personnes (sans parler des militants !) les commenter avec acharnement dès qu'ils sont publiés. Surtout si les résultats leur sont favorables !
Précisément, jouons le jeu. Quelles sont les principales indications de cette fameuse «enquête d'opinion», réalisée dans la perspective des élections fédérales de 2019 ?
Il y a d'inévitables fluctuations par rapport à d'autres sondages, d'autant qu'il existe toujours une «marge d'erreur», mais il est difficile de parler de grands bouleversements. La NVA recule mais reste de loin de premier parti néerlandophone. Les autres partis flamands de la coalition fédérale -Open VLD et CD&V- sont plutôt stables. Le SPA tire son épingle du jeu et Groen progresse légèrement. Le Belang reprend du poil de la bête et le PvdA reste en dessous de la barre des 5 % au niveau régional. Ce qui n'exclut évidemment pas qu'il la dépasse dans tel ou tel arrondissement.
Côté wallon, le PS reste le premier parti, loin toutefois des résultats des législatives de 2014. Le MR se tasse et le PTB arrive en troisième position ! Recul confirmé du CDH et irruption de Défi. Le PP, pour sa part, demeure au dessus du seuil éligible des 5 %... Mais laissons là des chiffres qui seront vite oubliés lorsque les citoyens voteront, car c'est finalement le seul «sondage» important...
Aucune conclusion ne peut donc être tirée de ce bruit médiatique récurrent ?
Rien de définitif, certainement. Mais au delà des sondages, nous pouvons nous appuyer sur les résultats des scrutins de ces 40 dernières années, bien réels eux, et les confronter à cette inflation récurrente de chiffres.
C'est-à-dire ?
Avec notre système électoral de type proportionnel et compte-tenu de l'éparpillement des listes et des résultats, les coalitions de partis sont inévitables. Prenons le niveau fédéral, qui reste le plus décisif malgré le processus de fédéralisation de l'Etat. Au début des années '80, nous avons eu droit aux gouvernements Martens-Gol, coalitions musclées des droites. Ensuite, durant 25 ans, retour à des alliances gouvernementales du PS avec la droite, bref la traditionnelle «politique de collaboration de classe» de la social-démocratie. Enfin, depuis 2014, nous voilà à nouveau avec une coalition des droites totalement décomplexées, articulée autour de la teigneuse NVA. Pendant toute ces décennies, c'est l'austérité budgétaire et des mesures fortes de «libéralisation» -inspirées directement par l'Union européenne réellement existante, celle du capital !- qui ont toujours été au menu de la population.
Et demain ?
Les perspectives ne sont guère réjouissantes !
Michel II est déjà planifié ?
Si cela s'avère mathématiquement possible, ils n'hésiteront pas longtemps !
Qu'en est-il justement des actuelles projections en sièges ?
Le politologue de l'ULB, Pascal Delwit, a fourni à cet égard d'intéressantes données. Avec les réserves d'usage évidemment.
Pour la Belgique :
Pour la Wallonie :
Un premier constat : l'actuel gouvernement fédéral ne disposerait plus de la majorité à la Chambre : 71 députés sur 150. Mais l'apport du CDH suffirait à combler ce déficit !
Deuxième constat : la faiblesse des «gauches» (les guillemets sont naturellement de circonstance). Socialistes,écologistes et PTB -ensemble!- obtiendraient 55 parlementaires fédéraux. Impossible, dans ces conditions, d'envisager la moindre coalition gouvernementale, en admettant même qu'ils le souhaiteraient !
Troisième constat, au niveau wallon, où le centre de gravité politique est beaucoup plus à gauche qu'en Flandre, la majorité MR-CDH serait en déconfiture. A l'inverse, une coalition PS-Ecolo-PTB -celle souhaitée par certains dirigeants de la FGTB wallonne- serait arithmétiquement possible, bien qu'un peu juste : 38 sièges sur 75 ! Mais politiquement, vu le positionnement ré-affirmé d'Ecolo et du PS, cette perspective semble bel et bien exclue !
Quatrième constat, la présence confirmée de l'extrême-droite. Il y avait déjà le Vlaams Belang ; il y a maintenant le Parti Populaire qui s'incruste et grignote des mandats, bénéficiant sans doute des «affaires» (Publifin, Samu social, ...), et du climat raciste et anti-migrants.
Une véritable alternative politique est donc exclue ?
Sauf tsunami électoral du PTB, oui ! Toute boutade mise à part, il faut voir la réalité telle qu'elle est et non telle que l'on voudrait qu'elle soit : à court terme, il n'existe effectivement pas d'alternative sur le plan institutionnel au niveau de l'Etat-Belgique. Au lendemain de mai 2019, ce sera soit la reconduction d'une coalition à droite toute, soit le retour du PS dans le cadre d'une sempiternelle alliance avec ces piliers de la droite que sont le MR-Open VLD, sans oublier le CD&V. Et à entendre un Di Rupo, un accord avec la NVA n'est même plus à exclure...
Cependant, en Wallonie...
...Une majorité de gauche est certes théoriquement possible, compte tenu des chiffres mentionnés plus haut et qui devront bien sûr être confirmés. Dans les faits, néanmoins, ce sera très difficile car, encore une fois, Ecolo et le PS répètent à l'envi qu'ils ne veulent pas gouverner avec le PTB ! Et, par ailleurs, ce dernier refuse de s'engager dans tout exécutif qui ne romprait pas avec les politiques du passé, ce en quoi il a totalement raison.
Mais alors, comment sortir d'une telle impasse ?
Les adeptes du discours «seules les luttes comptent» ont encore de beaux jours devant eux. Problème : les «luttes» n'ont rien stoppé au cours de toutes ces années «austéritaires». Ni les trains de mesures rétrogrades de Martens-Gol ; ni le «plan global», le «pacte des générations», la ratification des «traités européens», la déstabilisation de la Sécu, les privatisations ou la chasse aux chômeurs mis en oeuvre pendant un quart de siècle avec la complicité du SPA-PS ; ni bien entendu la furieuse offensive anti-sociale engagée depuis 4 ans par les compères du MR et de la NVA ! De surcroît, la nécessité évidente de se battre n'épuise pas la question du «débouché politique». Or, pour gagner, tout mouvement social/politique qui a pour ambition de changer radicalement la donne doit pouvoir «marcher sur les deux jambes», les mobilisations et les prolongements institutionnels de celles-ci...
Les succès ont été rares parce que les réactions syndicales ont sans doute été insuffisantes. Il suffirait peut-être de hausser le ton pour imposer d'autres orientations politiques, non ?
Il est difficile d'imaginer un rapide revirement dans la stratégie de la CSC et de la FGTB. Ces organisations ont toujours misé sur la «concertation». Et maintenant que celle-ci est en déliquescence, leurs dirigeants se retrouvent dans la même situation qu'un crabe plaqué sur le sable lorsque la mer se retire soudainement ! Ils sont d'autant plus désorientés qu'ils ne voient pas comment pourraient se concrétiser des majorités et des politiques qui répondent à leurs voeux, pour reprendre la question du «nécessaire prolongement aux luttes» évoquée plus haut. Certes, sur papier et avec quelques yaka de circonstance, tout serait facile, à commencer par une grève générale à durée illimitée. Sauf que nous ne sommes plus en 1936 ou en 1960-61, que le monde a évolué très vite, à commencer par le «monde du travail», et que cette exigence de grève générale semble peu «matérialisable» dans la conjoncture actuelle.
Les travailleurs ne remettent plus en cause le capitalisme et sont dès lors intégrés dans celui-ci ?
Ils y vivent et l'imaginaire collectif a été colonisé par l'imaginaire d'un modèle productiviste et consumériste. Est-ce de l' «intégration» ou «simplement» de l' «aliénation» ? Et puis, il ne faut pas sous-estimer le poids des défaites du XXème siècle et l'échec du «communisme» qui ont accrédité l'idée qu'il n'existait aucune solution de rechange attractive au capitalisme !
Triste état des lieux...
... A l'évidence. J'ajoute que la tendance au repli sur la sphère privée et les processus d'individualisation des rapports sociaux constituent également une difficulté supplémentaire pour tout combat émancipateur.
No future ?
C'est aller vite en besogne même si la «crise du réchauffement climatique» constitue, à terme, une vraie menace pour l'espèce humaine. Pour en revenir à notre «ici et maintenant», fort heureusement, il y a bel et bien des contestations du système d'hégémonie néo-libérale. Encore faut-il comprendre qu'il ne s'agit plus simplement du vieux conflit «bourgeoisie-prolétariat» mais des conséquences de l'émergence de multiples mouvements sociaux qui ont engagé des combats divers : féministes, écologiques, anti-racistes, minorités sexuelles... Il ne s'agit donc plus seulement d'un affrontement «gauche-droite» vertébré par la «classique lutte de classe» mais d'une opposition plus large entre une oligarchie et le peuple. Mais là, nous entrons dans un vaste débat autour d'une problématique mise à toutes les sauces : le «populisme». Et il faut toujours se méfier des concepts en «isme»...
Revenons-en, par conséquent, à nos échéances immédiates, les élections qui vont se multiplier en quelques mois... Que faire ?
Voter. C'est obligatoire. Ou plus exactement, les électeurs et électrices sont contraints de se rendre aux bureaux de vote, pas nécessairement de choisir un parti ou un(e) candidat(e). Après tout, un vote blanc ou un vote nul représentent aussi un signal politique. Ce n'est toutefois pas celui que je préconise.
Un «vote utile» est donc quand même nécessaire ?
Je n'aime pas cette expression de «vote utile». Utile à quoi ? Utile à qui ? Utile pour faire quoi ? Il ne s'agit pas ici d'un froid calcul utilitariste, ni de feeling, ni de sentimentalisme, ni même de connivence idéologique. Il s'agit d'une analyse politique concrète d'une situation politique concrète !
Aujourd'hui, quelle est donc cette fameuse donne ?
La Belgique est l'un des pays fondateurs de l'Union européenne et celle-ci dicte à ses Etats membres -et à ceux qui les gouvernent- une politique qui traduit les principes -oserais-je dire «idéologiques»- du néo-libéralisme. Cette orientation a été bétonnée dans des «traités», imposés aux peuples (rappelez-vous le funeste épisode des referendum en France ou aux Pays-Bas, en 2005), et majoritairement ratifiés par les parlements nationaux (et les partis qui les composent) malgré une opposition populaire réelle. Chez nous, le PS les a votés sans états d'âme et il s'est même trouvé des députés Ecolo pour lui emboîter le pas ! Seul le PTB s'y est clairement opposé.
Par ailleurs, le PS n'a nullement abandonné sa ligne d'accompagnement de la trajectoire du capitalisme, et les responsables écologistes campent obstinément sur une position «ni...ni...». Ce qui les conduit à nouer régulièrement des alliances avec tout et n'importe qui, droite libérale y comprise, leur seule exclusive semblant précisément être... le PTB, associé pour la circonstance à l'extrême-droite !
Or, parmi tous les partis -je parle de ceux qui ont une implantation régionale et/ou nationale significative- le PTB est sans conteste le seul à défendre sans ambiguïté d'autres perspectives que celles issues de la tambouille néo-libérale. Le PTB est le seul à s'engager clairement sur un refus d' «exercice du pouvoir» avec la droite, que ce soit le MR ou le CDH. Et le PTB affirme tout aussi clairement qu'il ne gouvernera pas pour mener des politiques d'austérité autoritaires qui cadrent avec les recommandations de la Commission européenne ! Que ce soit en matière de politique salariale, de sécurité sociale, de défense des services publics, de fiscalité ou de transition écologique, le programme du PTB constitue un programme de rupture avec la doxa réactionnaire, sans commune mesure avec les platitudes programmatiques des autres partis !
Il n'y a donc pas à hésiter : dans la situation actuelle, il faut voter PTB chaque fois que c'est possible.
ANNEXES
1. Les principaux résultats du sondage RTL-Info/Le Soir
https://www.rtl.be/info/belgique/politique/grand-barometr...
2. Et en Flandre ?
Voici la projection de Pascal Delwit :
Tout dessin supplémentaire serait inutile : le centre de gravité politique est nettement situé à droite ! A elle seule, la NVA disposerait du même nombre de sièges que Groen-Spa-PVdA réunis ! : 33 ! Si l'on ajoute les 21 strapontins du CD&V et les 17 de l'Open VLD, on arrive ainsi à 71 sièges sur 118 ! L'extrême-droite (Le Vlaams Belang), pour sa part, obtiendrait 13 sièges, soit six fois plus que le PVdA !
3. Concernant une question qui semble beaucoup tarauder, une réponse du porte-parole du PTB :
20:40 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
24 septembre 2018
Marx dans le texte (18)
« Après avoir montré que la résistance périodiquement exercée de la part de l'ouvrier contre la réduction des salaires et les efforts qu'il entreprend périodiquement pour obtenir des augmentations de salaires sont inséparablement liés au système du salariat et sont provoqués par le fait même que le travail est assimilé aux marchandises et soumis par conséquent aux lois qui règlent le mouvement général des prix; après avoir montré, en outre, qu'une hausse générale des salaires entraînerait une baisse générale du taux du profit, mais qu'elle serait sans effet sur les prix moyens des marchandises ou sur leurs valeurs, maintenant il s'agit finalement de savoir jusqu'à quel point, au cours de la lutte continuelle entre le capital et le travail, celui-ci a chance de l'emporter.
Je pourrais répondre de façon générale et vous dire que le prix du marché du travail, de même que celui de toutes les autres marchandises, s'adaptera, à la longue, à sa valeur; que, par conséquent, en dépit de toute hausse et de toute baisse, et quoi que fasse l'ouvrier, il ne recevra finalement en moyenne que la valeur de son travail, qui se résout dans la valeur de sa force de travail, laquelle est déterminée, à son tour, par la valeur des moyens de subsistance nécessaires à sa conservation et à sa reproduction, et dont la valeur est finalement réglée par la quantité de travail qu'exige leur production.
Mais il y a quelques circonstances particulières qui distinguent la valeur de la force de travail, la valeur du travail, des valeurs de toutes les autres marchandises. La valeur de la force de travail est formée de deux éléments dont l'un est purement physique et l'autre historique ou social. Sa limite ultime est déterminée par l'élément physique, c'est-à-dire que, pour subsister et se reproduire, pour prolonger son existence physique, il faut que la classe ouvrière reçoive les moyens de subsistance indispensables pour vivre et se multiplier. La valeur de ces moyens de subsistance de nécessité absolue constitue par conséquent la limite ultime de la valeur du travail. D'autre part, la longueur de la journée de travail a également des limites extrêmes, quoique très extensibles. Ses limites extrêmes sont données par la force physique de l'ouvrier. Si l'épuisement quotidien de sa force vitale dépasse un certain degré, celle-ci ne pourra pas fournir journellement une nouvelle activité. Néanmoins, comme nous l'avons dit, cette limite est très extensible. Une succession rapide de générations débiles et à existence brève approvisionnera le marché du travail tout aussi bien qu'une série de générations fortes et à existence longue.
Parallèlement à cet élément purement physiologique, la valeur du travail est déterminée dans chaque pays par un standard de vie traditionnel. Celui-ci ne consiste pas seulement dans l'existence physique, mais dans la satisfaction de certains besoins naissant des conditions sociales dans lesquelles les hommes vivent et ont été élevés. Le standard de vie anglais pourrait être réduit à celui de l'Irlande, le standard de vie d'un paysan allemand à celui d'un paysan de Livonie. L'importance du rôle que jouent à cet égard la tradition historique et les habitudes sociales, vous pourrez la voir dans l'ouvrage de M. Thornton sur la Surpopulation. Il y montre que les salaires moyens dans diverses régions agricoles d'Angleterre, encore de nos jours, diffèrent plus ou moins suivant les circonstances plus ou moins favorables dans lesquelles ces régions sont sorties du servage.
Cet élément historique ou social qui entre dans la valeur du travail peut augmenter ou diminuer, disparaître complètement, de telle sorte que la limite physiologique subsiste seule. Du temps de la guerre contre les Jacobins, entreprise, comme disait le vieux George Rose, budgétivore et sinécuriste impénitent, pour mettre les consolations de notre sainte religion à l'abri des incursions de ces mécréants de Français, les honnêtes fermiers anglais que nous traitions si tendrement dans un chapitre précédent abaissèrent les salaires des ouvriers agricoles même au-dessous du minimum purement physique et firent ajouter, moyennant les Lois des pauvres, ce qui était nécessaire à la conservation physique de la race. C'était une manière glorieuse de transformer l'ouvrier salarié en esclave et le paysan libre et fier de Shakespeare en un indigent assisté.
Si vous comparez les salaires normaux, c'est-à-dire les valeurs du travail dans différents pays et à des époques historiques différentes dans le même pays, vous trouverez que la valeur du travail elle-même n'est pas une grandeur fixe, qu'elle est variable même si l'on suppose que les valeurs de toutes les autres marchandises restent constantes.
D'une comparaison analogue des taux du profit sur le marché il ressortirait que non seulement ceux-ci varient, mais que varient aussi leurs taux moyens.
Mais, en ce qui concerne les profits, il n'existe pas de loi qui déterminerait leur minimum. Nous ne pouvons pas dire quelle est la limite dernière de leur baisse. Et pourquoi ne pouvons-nous fixer cette limite ? Parce que nous sommes bien capables de fixer les salaires minimums, mais non les salaires maximums. Nous pouvons seulement dire que les limites de la journée de travail étant données, le maximum des profits correspond à la limite physiologique la plus basse des salaires et que, étant donné les salaires, le maximum des profits correspond à la prolongation de la journée de travail encore compatible avec les forces physiques de l'ouvrier. Le maximum du profit n'est donc limité que par le minimum physiologique de salaire et le maximum physiologique de la journée de travail.
Il est clair qu'entre ces deux limites du taux maximum du profit, il y a place pour une échelle immense de variations possibles. Son degré n'est déterminé que par la lutte incessante entre le capital et le travail; le capitaliste essaye continuellement d'abaisser les salaires à leur minimum physiologique et de prolonger la journée de travail à son maximum physiologique, tandis que l'ouvrier exerce constamment une pression dans le sens opposé.La chose se réduit à la question du rapport des forces des combattants.
En ce qui concerne la limitation de la journée de travail en Angleterre ainsi que dans tous les autres pays, elle n'a jamais été réglée autrement que par l'intervention législative. Sans la pression constante des ouvriers, agissant du dehors, jamais cette intervention ne se serait produite. En tout cas, le résultat n'aurait pas été obtenu par des accords privés entre les ouvriers et les capitalistes. Cette nécessité même d'une action politique générale est la preuve que, dans la lutte purement économique, le capital est le plus fort.
Quant aux limites de la valeur du travail, leur fixation dépend toujours en fait de l'offre et de la demande. J'entends par là la demande de travail de la part des capitalistes et l'offre de travail faite par les ouvriers. Dans les pays coloniaux, la loi de l'offre et de la demande favorise l'ouvrier. De là, le niveau relativement élevé des salaires aux Etats-Unis d'Amérique. Le capital a beau s'y évertuer; il ne peut empêcher que le marché du travail ne s'y vide constamment par la transformation continuelle des ouvriers salariés en paysans indépendants, se suffisant à eux-mêmes. La situation d'ouvrier salarié n'est, pour une très grande partie des Américains, qu'un stade transitoire qu'ils sont sûrs de quitter au bout d'un temps plus ou moins rapproché. Pour remédier à l'état de choses existant aux colonies, le paternel gouvernement anglais a adopté, pendant un certain temps, ce que l'on appelle la théorie de la colonisation moderne, qui consiste à élever artificiellement le prix de la terre aux colonies dans le but d'empêcher la transformation trop rapide du salarié en paysan indépendant.
Passons maintenant aux pays de vieille civilisation, où le capital domine entièrement le processus de la production. Prenons, par exemple, la hausse des salaires des ouvriers agricoles en Angleterre de 1849 à 1859. Quelle en fut la conséquence ? Les cultivateurs n'ont pas pu, comme le leur aurait conseillé notre ami Weston, élever la valeur du blé, pas même son prix sur le marché. Il leur fallut, au contraire, en accepter la baisse. Mais pendant ces onze années, ils introduisirent des machines de toutes sortes, appliquèrent des méthodes scientifiques nouvelles, convertirent une partie des terres arables en pâturages, augmentèrent l'étendue des fermes et, du même coup, le volume de la production; par ces moyens et par d'autres encore, ayant diminué la demande du travail par l'augmentation de sa force productive, ils créèrent de nouveau un excédent relatif de la population des ouvriers agricoles. Telle est la méthode générale suivant laquelle s'accomplissent plus ou moins rapidement, dans les vieux pays depuis longtemps habités, les réactions du capital contre les augmentations de salaires. Ricardo fait remarquer très justement que la machine est en concurrence continuelle avec le travail, et que souvent elle ne peut être introduite que lorsque le prix du travail a atteint un certain niveau; mais l'emploi de la machine n'est qu'une des nombreuses méthodes pour accroître la force productive du travail. Ce développement même qui crée une surabondance relative du travail ordinaire simplifie, d'autre part, le travail qualifié et ainsi le déprécie.
La même loi se fait sentir sous une autre forme. Avec le développement de la force productive du travail, l'accumulation du capital s'accélère beaucoup, même en dépit d'un taux de salaire relativement élevé. On en pourrait conclure, comme Adam Smith, du vivant duquel l'industrie moderne n'était encore qu'à ses débuts, que l'accumulation accélérée du capital doit nécessairement faire pencher la balance en faveur de l'ouvrier en créant une demande croissante de travail. Pour cette même raison, un grand nombre d'écrivains contemporains se sont étonnés que les salaires n'aient pas augmenté davantage, alors que le capital anglais s'est accru dans ces vingt dernières années beaucoup plus rapidement que la population anglaise. Mais, parallèlement à l'accumulation continuelle du capital, il s'opère une modification croissante dans la composition du capital. La portion du capital total, qui consiste en capital fixe, machines, matières premières, moyens de production de toutes les sortes possibles, s'accroît plus rapidement comparativement à l'autre portion du capital qui est employée en salaires, c'est-à-dire à l'achat du travail. Cette loi fut établie sous une forme plus où moins exacte par Barton, Ricardo, Sismondi, le professeur Richard Jones, le professeur Ramsay, Cherbuliez et plusieurs autres.
Si le rapport entre ces deux éléments du capital était à l'origine 1 contre 1, il devient au cours du progrès de l'industrie 5 contre 1, etc. Si sur un capital total de 600, on en investit 300 en instruments, matières premières, etc., et 300 en salaires, il n'y aura qu'à doubler le capital total pour créer une demande de 600 ouvriers au lieu de 300. Mais si, sur un capital de 600, 500 sont investis en machines, matériaux, etc., et 100 seulement en salaires, il faudra porter le même capital de 600 à 3 600 pour créer une demande de 600 ouvriers au lieu de 300. Dans le développement de l'industrie, la demande de travail ne marche donc pas de pair avec l'accumulation du capital. Elle s'accroîtra sans doute, mais dans un rapport constamment décroissant relativement à l'augmentation du capital.
Ces quelques indications suffiront à montrer que le développement même de l'industrie moderne doit nécessairement faire pencher toujours davantage la balance en faveur du capitaliste contre l'ouvrier et que, par conséquent, la tendance générale de la production capitaliste n'est pas d'élever le niveau moyen des salaires, mais de l'abaisser, c'est-à-dire de ramener, plus ou moins, la valeur du travail à sa limite la plus basse. Mais, telle étant la tendance des choses dans ce régime, est-ce à dire que la classe ouvrière doive renoncer à sa résistance contre les atteintes du capital et abandonner ses efforts pour arracher dans les occasions qui se présentent tout ce qui peut apporter une amélioration temporaire à sa situation ? Si elle le faisait, elle se ravalerait à n'être plus qu'une masse informe, écrasée, d'êtres faméliques pour lesquels il n'y aurait plus de salut. Je pense avoir montré que ses luttes pour des salaires normaux sont des incidents inséparables du système du salariat dans son ensemble, que, dans 99 cas sur 100, ses efforts pour relever les salaires ne sont que des tentatives pour maintenir la valeur donnée au travail, et que la nécessité d'en disputer le prix avec le capitaliste est en connexion avec la condition qui l'oblige à se vendre elle-même comme une marchandise. Si la classe ouvrière lâchait pied dans son conflit quotidien avec le capital, elle se priverait certainement elle-même de la possibilité d'entreprendre tel ou tel mouvement de plus grande envergure.
En même temps, et tout à fait en dehors de l'asservissement général qu'implique le régime du salariat, les ouvriers ne doivent pas s'exagérer le résultat final de cette lutte quotidienne. Ils ne doivent pas oublier qu'ils luttent contre les effets et non contre les causes de ces effets, qu'ils ne peuvent que retenir le mouvement descendant, mais non en changer la direction, qu'ils n'appliquent que des palliatifs, mais sans guérir le mal. Ils ne doivent donc pas se laisser absorber exclusivement par les escarmouches inévitables que font naître sans cesse les empiétements ininterrompus du capital ou les variations du marché. Il faut qu'ils comprennent que le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la transformation économique de la société. Au lieu du mot d'ordre conservateur: "Un salaire équitable pour une journée de travail équitable", ils doivent inscrire sur leur drapeau le mot d'ordre révolutionnaire: "Abolition du salariat". »
[Karl Marx, Salaire, prix et profit, 1865]
11:56 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
16 septembre 2018
Une autre "rentrée littéraire"
SYNOPSIS
Au moment où les partis populistes remportent des succès déconcertants dans les sociétés libérales occidentales, en Autriche, en Italie, aux États-Unis..., nul ne saurait douter que nous traversons aujourd'hui ce que Chantal Mouffe appelle un «moment populiste», qui s'explique par la désaffection croissante envers les partis de gouvernement traditionnels et la défiance envers la chose politique dans son ensemble. Après L'illusion du consensus, la gauche progressiste que défendait l'auteure, capable de revitaliser la démocratie et de rétablir un espace où s'expriment les conflits, doit désormais se reconstruire ; et il semble bien qu'elle n'ait d'autre choix que d'adopter, elle aussi, une «stratégie populiste». Mais attention, par «populisme de gauche», il faut entendre la stratégie qui vise à construire une frontière entre «le peuple» et l'«oligarchie», la seule frontière politique qui vaille, comme l'avance Chantal Mouffe dans ce texte aux allures de véritable manifeste.
Chantal MOUFFE, Pour un populisme de gauche, Albin Michel
Paru le 12/09/2018
SYNOPSIS
Que faire ? Telle était la question que se posa Lénine en 1901, alors qu'il éprouvait des doutes sur la capacité révolutionnaire du monde ouvrier russe. Soixante-dix-sept ans plus tard, Louis Althusser décide de se l'adresser aussi. Confronté au reflux de Mai 68 et aux renoncements successifs du Parti communiste, il souhaite offrir à ses lecteurs un bref vade-mecum pour la révolution à venir. Un vade-mecum ramassé et tranchant, brillant et nerveux, tout entier tourné vers un objectif : parvenir à organiser la lutte de la classe populaire, de telle sorte qu'elle puisse l'emporter sur la classe bourgeoise. Pour Althusser, c'est l'occasion d'une critique virtuose des écrits d'Antonio Gramsci et de l'eurocommunisme, qui séduisent alors de nombreux marxistes. Mais c'est surtout l'opportunité de tenter de dire, en quelques pages, ce qu'il n'avait pas réussi à énoncer ailleurs : quelles conditions concrètes faut-il satisfaire pour qu'enfin la révolution ait lieu. Laissé inachevé, il est publié ici pour la première fois.
Louis ALTHUSSER, Que Faire ?, PUF
A paraître le 19/09/2018
SYNOPSIS
Alors qu'il séjourne entre mai et octobre 1843 dans la petite ville de Kreuznach, Marx s'attelle à l'élaboration d'une critique de la philosophie du droit de Hegel, dont la pensée constitue alors l'horizon philosophique des jeunes penseurs critiques allemands. Ce travail prend la forme d'un commentaire ligne à ligne des paragraphes 261 à 313 des Principes de la philosophie du droit consacrés à la constitution interne de l'État. Marx laisse finalement ce travail inachevé sous la forme d'un manuscrit. C'est ce texte que nous publions aujourd'hui dans une nouvelle traduction qui, pour la première fois en France, s'appuie sur l'édition critique allemande la plus récente, et tente de faire apparaître le Manuscrit de Kreuznach comme ce qu'il est: un brouillon qui est aussi un véritable laboratoire de la pensée de Marx en train de se construire et de se préciser au contact du texte de son maître. Une introduction, un plan détaillé du texte, un appareil de notes, un glossaire et un choix de textes complémentaires, dont les paragraphes de Hegel commentés, permettent de replacer ce texte étonnant dans le cheminement de pensée de Marx, et en particulier dans le débat qu'il n'a jamais cessé d'entretenir avec la pensée de Hegel.
Karl MARX, Contribution à la critique de la Philosophie du Droit de Hegel, Editions sociales
A paraître le 19/09/2018
SYNOPSIS
Mis à part leur statut de détective chevronné, quel est le point commun entre Hercule Poirot, Reginald Wexford et Adam Dalgliesh ? Tous sont nés de l'imaginaire d'une écrivaine. Le roman policier est affaire de femmes, d'Anglaises tout particulièrement : Agatha Christie, Ruth Rendell, P. D. James. Ces «reines du crime», comme se plaît à les appeler la critique anglo-saxonne, ont façonné le genre du polar. Et si cette tradition féminine s'est épanouie, c'est avant tout grâce à un contexte politique et social propice au renouveau. Alternative féminine et féministe au roman d'aventure, le polar a cristallisé les angoisses, les modes et les mutations. Dans la deuxième moitié du XIX siècle, les auteures se sont faites enquêtrices ; elles ont questionné leur époque, remis en cause l'ordre patriarcal, repensé le marché de la littérature, donné naissance à un nouveau modèle d'héroïne émancipée. Plus que de simples fictions, les récits de détectives ont redessiné les contours de la société anglaise.
Frédéric REGARD, Le détective était une femme, PUF
A paraître le 19/09/2018
SYNOPSIS
Ce livre constitue une perspective historique (celle de la minorité) sur cet épisode révolutionnaire et il est, selon les mots de Bernard Noël, un véritable «traité idéologique». Pour Arnould, comme pour Lefrançais, membres tous deux de la « minorité » socialiste, non jacobine, non blanquiste, la Commune a trouvé «la formule exacte de la souveraineté populaire» en substituant le principe de la fédération, de l'union libre de collectivités autonomes, à tout centralisme politique. La formule inédite de la souveraineté par l'union, redoublée par l'anonymat de l'auto-gouvernement, accomplit les grandes idées du socialisme utopique. Mais cet accomplissement est vite contrarié par la situation de guerre étrangère et civile. Aussi la Commune se trouve-t-elle soumise à une tension contradictoire entre le socialisme utopique et le pragmatisme jacobin. Soumise à cet antagonisme, lui-même aggravé par la guerre, il faut à la Commune devenir efficace dans l'urgence ou abandonner le gouvernement à un Comité de salut public.
Arthur ARNOULD, Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, Klincksieck
A paraître le 20/09/2018
SYNOPSIS
Qu'est devenue la vérité ? À l'heure de la mise en oeuvre de la première loi supposée limiter les «fake news», Arnaud Esquerre, spécialiste des phénomènes de croyance, analyse la logique propre à ces faits alternatifs et les raisons de leur succès dans la sphère publique.
Arnaud ESQUERRE, Le vertige des faits alternatifs, Textuel
A paraître le 26/09/2018
SYNOPSIS
Il y a les liens que le cinéma tisse avec la société de son temps. Marc Ferro en a traité dans un ouvrage devenu classique, Cinéma et histoire (Folio Histoire n° 55). Il y a, désormais, les rapports que les historiens entretiennent avec le film, en tant qu'objet d'analyse mais aussi mode d'écriture. Pour mieux donner à percevoir, par la fiction et la compression du temps, ce qu'ils ne peuvent écrire dans un livre, certains historiens ont d'ailleurs fait le choix de passer à la réalisation. Plus généralement, l'historien est devenu un conseiller, ce qui conduit à expliciter l'évolution du statut de son expertise. Qu'il se définisse, au coeur de l'Histoire, comme oeuvre ou document d'archives, du Jour le plus Long (1962) à Dunkerque (2017), le film est assurément une mise en récit, au même titre que le discours de l'historien. Mais il crée également des formes spécifiques de figuration de l'histoire. C'est, à partir d'analyses de films et de documentaires historiques ou de fiction, comme de leur propre expérience cinématographique, ce que montrent Christian Delage et Vincent Guigueno dans cet ouvrage pionnier.
Christian DELAGE et Vincent GUIGUENO, L'historien et le film, Gallimard
A paraître le 27/09/2018
SYNOPSIS
En août 1936, le monde stupéfait découvre les premiers procès de Moscou. Au banc des accusés, les principaux dirigeants bolcheviques sont accusés des pires crimes et qui finiront devant le peloton d'exécution. Pourtant, le principal «coupable», qui a tout orchestré selon le procureur Vychinski, est absent. Il a été chassé d'URSS et privé de sa citoyenneté soviétique quelques années plus tôt : Léon Trotsky, le fondateur de l'Armée rouge est en exil au Mexique. Devant le tombereau de calomnies - il serait, tour à tour, depuis longtemps un agent de la Gestapo, du Mikado japonais et de l'état-major militaire français, l'organisateur de sabotages en URSS, d'assassinats de masse -, une commission internationale conduite par le philosophe américain John Dewey mène une contre-enquête sur les accusations. Elle recueille des témoignages et vérifie la «solidité» des accusations. En avril 1937, elle se rend à Coyoacán (Mexico) où réside Trotsky pour l'interroger. Celui-ci répond aux questions et revient sur l'histoire de la Révolution russe et de son funeste destin. Il revient sur sa vie depuis ses premiers engagements, sa rencontre avec Lénine et le déroulement de la Révolution d'octobre. Mais, surtout, il nous livre son témoignage et ses analyses sur la dégénérescence bureaucratique de l'URSS. Il détaille le fonctionnement de l'appareil policier de Staline et le déroulement des procès Moscou. Sous le feu des questions de la commission, il met en pièces les accusations et démontre les invraisemblances des faits allégués. Trois ans avant son assassinat par un agent de Staline, il nous propose sa part de vérité et nous livre le témoignage vivant d'un acteur de premier plan du déroulement tumultueux de l'Histoire. Publié en 1938, Not Guilty est resté inédit en français.
Commission DEWEY, Trotsky n'est pas coupable, Syllepse
A paraître le 27/09/2018
SYNOPSIS
Avec dix-sept députés répartis dans huit commissions à l'Assemblée nationale, La France Insoumise n'est pas le plus grand groupe d'opposition, mais elle est vite apparue comme étant la seule véritable force d'opposition au gouvernement Macron, et en particulier à sa politique économique, fiscale et sociale. En onze chapitres, les députés dressent un état critique de la France de M. Macron, en centrant leur analyse sur les politiques les plus contestables, tant du point de vue de l'efficacité que de la justice. Ils montrent ainsi ce qui, selon eux, est vraiment «en marche» dans la France de Macron : une régression qui poursuit et approfondit la logique néolibérale installée par les gouvernements précédents (de droite comme de gauche). Mais La France Insoumise est aussi la première force de propositions de lois alternatives : chaque diagnostic critique dessine donc également les voies d'une autre politique. Les députés insoumis Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Alexis CORBIÈRE, Éric COQUEREL, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Jean-Luc MÉLENCHON, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Loïc PRUD'HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE.
Les DEPUTES INSOUMIS, La régression en marche, Seuil
A paraître le 4/10/2018
20:45 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
12 septembre 2018
Actions syndicales contre le gouvernement Michel : pour faire quoi ?
De nouvelles mobilisations syndicales sont annoncées, notamment pour le mardi 2 octobre. Elles serviront peut-être de prélude à un «plan d'action» plus vaste, plus tard dans l'année. Avec l'objectif d'une manifestation nationale ou d'une grève générale de 24 heures, en... décembre, à quelques jours de la traditionnelle trêve des confiseurs, Noël et Nouvel An obligent ?
La remarque peut paraître désabusée, mais ce scénario a déjà été écrit tant de fois que l'on ne peut l'exclure. Avec un scepticisme accru, car il n'a jamais empêché le gouvernement NVA-MR de mettre en exécution ses projets socialement rétrogrades !
Alors, incapacité de tirer les leçons du passé, incapacité de se mettre en mouvement avec l'ensemble des salariés, absence de volonté d'affronter réellement l'exécutif fédéral ou attentisme contraint faute d'une alternative politique concrète à courte échéance ?
Il semble aujourd'hui évident que les décideurs qui «représentent» une «majorité sociale» potentielle préfèrent occuper une dernière fois «le terrain»... avant les élections législatives (et européennes) de 2019. Dans l'espoir, sans doute, qu'une nouvelle configuration parlementaire issue des urnes débouche sur la constitution d'un gouvernement «moins à droite» qui mettrait en oeuvre un programme moins violent contre le «monde du travail» et contre les «exclus» de celui-ci...
Toutefois, ce ne sont pas les participations gouvernementales du PS, voire même d'Ecolo, qui ont manqué au cours des 30 dernières années. Et celles-ci n'ont jamais permis une remise en cause des politiques d'austérité exigées par l'Union européenne, en vertu d'engagements et de traités pourtant contestés par les peuples, à maintes reprises !
Mais il y a longtemps que la perspective rêvée d'une révolution permanente a été supplantée par la plate réalité d'une impasse permanente !
Le «mouvement social» a décidément beaucoup de difficultés à avancer de manière équilibrée, sur ses deux jambes : les luttes ont besoin d'un débouché institutionnel et celui-ci ne peut prendre vie qu'en s'appuyant sur une action populaire au long cours.
Le problème majeur reste la construction d'une force politique à vocation hégémonique, porteuse d'un programme alternatif ambitieux qui puisse bénéficier d'un soutien majoritaire parmi les travailleurs/travailleuses- citoyens/citoyennes.
Hélas, en Belgique, nous en sommes toujours réduits à piétiner autour d'un clivage classique «gauche/droite» (guillemets vraiment d'usage) et à devoir observer des échanges d'invectives concernant des étiquettes qui ont pourtant beaucoup perdu de leur signification et de leur portée subversive. Dans la foulée du siècle dernier, ce début de troisième millénaire a -en effet- consolidé une fâcheuse tendance : les renoncements bousculent les idéaux, les compromissions se jouent des compromis, toute perspective de transformation du monde est priée de s'effacer derrière quelques misérables rafistolages de celui-ci !
Face à la droite et à l'extrême-droite, les solutions de rechange sont donc ténues et les possibilités d'une rupture avec le désordre du capital sont plus qu'aléatoires. Entre Ecolo qui cultive un «ni... ni...» opaque susceptible d'ouvrir la voie à n'importe quelles alliances, entre le PS bienveillant accompagnateur des orientations austéritaires chères aux puissants, entre le PTB ancien (?) parti mao-stalinien à la trajectoire politique sinueuse, le chemin d'un renouvellement stratégique et programmatique fécond est très étroit. Le décalage constaté avec des pays comme l'Espagne ou la France -et les stimulantes innovations engagées par Podemos ou par la France Insoumise- est évident.
Une situation d'autant plus complexe, -déconcertante même-, que nous vivons dans un «pays petit», disparate, taraudé par une vieille «question nationale», avec une cohabitation historiquement forcée de deux peuples, et avec des centres de gravité politiques différents suivant les régions et les communautés.
Les campagnes électorales à venir pourraient être l'occasion -pour les adversaires de l'actuel mode de production/consommation dominant- d'une clarification concernant les perspectives stratégiques fondamentales.
Malheureusement cet enjeu ne semble pas être une préoccupation prioritaire au sein de partis plus soucieux de se disputer le titre de «champion de la gauche», ou plus ardents pour «gagner l'hégémonie dans un camp», que de chercher une voie inédite adaptée à notre époque chahutée et capable de rassembler majoritairement pour un changement de cap radical.
Nous pourrons de toute façon vérifier très rapidement ce qu'il en est réellement.
A suivre...
@
19:35 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
04 septembre 2018
Toilettage
Lorsque j'ai ouvert ce «blog», en 2013, j'ai rédigé un petit texte de présentation, repris dans la rubrique «A propos», située sur la page d'accueil, tout en haut, à ... gauche.
5 années plus tard, voici venu le temps de «rafraîchir» ces quelques lignes. Il s'agit plus d'aménagements, « homéopathiques », que d'une refonte totale qui -sur le plan politique- ne s'imposait pas.
Voici donc la nouvelle version.
Ce blog annonce la couleur : rouge !
C'est donc à partir d'un engagement assumé que sont abordées ici l'actualité conflictuelle du monde -sous ses multiples facettes-, la politique, l'histoire ou la littérature...
Quelques mots pour me situer.
Je me réclame de la "pensée/action Marx".
L’analyse et les interprétations critiques de la société doivent s'inscrire dans une perspective transformatrice de celle-ci.
Le combat pour l’émancipation humaine ne peut faire l’économie d’une rupture avec le capitalisme pour l’instauration d’une société sans classes, profondément égalitaire et démocratique, débarrassée de toute oppression et de toute exploitation, où le libre développement de chacun(e) sera le garant du libre développement de tou(te)s, dans le respect des grands équilibres écologiques.
Plus que jamais : LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE !
Sans démocratie réelle pas de vraie LIBERTE possible !
Une véritable démocratie directe, car aucun projet politique visant à changer le monde ne peut aboutir s’il n’est pas porté par la grande majorité des hommes et des femmes, des citoyens et des citoyennes, des travailleurs et des travailleuses, des jeunes et des moins jeunes.
Une société "post-capitaliste", quel que soit le nom plébiscité, ne pourra être que radicalement démocratique. Elle constituera une avancée qualitative par rapport à la situation actuelle où la liberté est trop souvent la liberté pour les plus puissants de pouvoir écraser les plus faibles. Elle mettra fin au despotisme du marché afin de permettre à chacun(e) d’intervenir dans tous les domaines qui influencent la destinée humaine, à commencer par le contrôle des processus de production qui déterminent les types de consommation -destructeurs ou non !- de notre environnement terrestre. Elle mettra en valeur de rôle des individus, car le libre développement de chacun(e) est la condition du libre développement de tou(te)s.
Sans solidarité effective pas de vraie FRATERNITE possible !
Une véritable solidarité est incontournable dans un monde qui ne peut se réduire à une somme d’individus atomisés, alors que les êtres humains entretiennent d’étroites relations qui les lient les uns aux autres.
L’intérêt collectif doit l’emporter sur l’égoïsme, d’autant que nous sommes également confrontés au défi de maintenir une planète viable pour les générations futures.
Le "chacun pour soi" doit céder la place au "tous ensemble" !
Sans remise en cause radicale de ce monde intolérable parce que terriblement inégalitaire, pas de vraie EGALITE possible !
Le combat contre les inégalités est un combat contre les mécanismes et rapports sociaux qui sont responsables de ces inégalités.
Il ne s’agit pas de rechercher un peu plus de cette "équité" qui s’accommode facilement des inégalités et qui se contente de limiter celles-ci ou de les rendre "acceptables". Il s’agit de permettre à chaque être humain de développer ses possibilités et sa créativité, de réaliser ses désirs, de pouvoir s’épanouir, de vivre pleinement. Ce qui passe par l’accès à l’éducation, au savoir, à la nourriture ou au logement et, par conséquent, par une égalité "multi-dimentionnelle", économique, sociale ou culturelle.
Concrétiser ces objectifs ambitieux, ici et maintenant : par où commencer ?
Il n’existe pas de "recette miraculeuse". Hélas !
Un constat d’abord : l’échec, au XXème siècle, de toutes les tentatives de sortie du capitalisme, que ce soit par la "voie réformiste" ou par la "voie révolutionnaire".
Dans le premier cas, nous avons eu au mieux une gestion "sociale" du capitalisme ; dans le second cas, des caricatures totalitaires et mortifères du "socialisme/communisme".
Ce bilan négatif -malgré quelques aspects "positifs" (comme les conquêtes sociales favorisées par les mobilisations révolutionnaires et la "peur du rouge", aux lendemains des guerres mondiales, notamment)- est aujourd'hui un terrible handicap pour toutes celles et tous ceux qui continuent à s'activer pour transformer le monde !
3 éléments clé sont à souligner :
-
L'absence de possibilité rapide de révolution communiste !
-
L’impasse totale d’un réformisme sans réformes, qui a basculé sans complexes du côté de l’ordre capitaliste !
-
Les difficultés de faire émerger une véritable alternative crédible, attractive, et refondée (qui a tiré les leçons des défaites du passé et qui est capable de changer un "logiciel politique" hérité de la première moitié du siècle dernier !) !
Le temps des partis uniques, des avant-gardes éclairées qui détiennent seules toute la sagesse politique du monde et qui, fortes de celle-ci, assènent la vérité, est désormais révolu !
Non seulement, le combat pour l’émancipation est un combat de longue haleine, mais c’est un combat extrêmement difficile et parfaitement aléatoire. "L’histoire ne fait rien" (Friedrich Engels). Et il n'existe pas de radieux scénario du futur planifié par on ne sait quels Dieu, César ou Tribun !
Dans ces conditions, comment progresser ?
Quelques pistes.
Articuler la lutte dans les institutions et les mobilisations sociales, car sans mobilisations pas de rapports de forces corrects dans le combat institutionnel, mais sans débouché(s) politique(s), les luttes (grèves, manifestations, ...) ne sont que des barouds d’honneur à répétition !
Notre but reste de "transformer la société et changer la vie" (André Breton), autant que possible et le plus vite possible, pas dans un siècle !
Nous ne pouvons attendre un hypothétique "grand soir" en nous contentant de "témoigner", en diffusant une propagande millénariste, ou en prenant une posture révolutionnariste.
La gauche qui s'auto-proclame "de gauche", ses organisations et ses sympathisants, mais aussi les "non-encartés", ont donc une lourde responsabilité. L’enjeu -aujourd'hui- n’est plus de savoir qui est le plus "rouge", qui est le plus "anticapitaliste", qui est le plus "combatif"... L'enjeu n'est plus de savoir s'il existe une "vraie" gauche et une "fausse" gauche (qui devrait dès lors être "dénoncée", "démasquée" ou "démystifiée")...
Il s'agit maintenant d'abandonner les querelles stériles d'étiquettes et de chapelles pour dégager une voie pour une réponse stratégique et programmatique originale, adaptée à notre époque et capable d'enfin répondre aux multiples et complexes enjeux de notre temps !
Ce blog a pour -modeste- ambition d'apporter une toute petite contribution dans cette vaste perspective.
10:39 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |
01 septembre 2018
Marx dans le texte (17)
A propos de la religion (II)
« Le monde religieux n'est que le reflet du monde réel. Une société où le produit du travail prend généralement la forme de marchandise et où, par conséquent, le rapport le plus général entre les producteurs consiste à comparer les valeurs de leurs produits et, sous cette enveloppe des choses, à comparer les uns aux autres leurs travaux privés à titre de travail humain égal, une telle société trouve dans le christianisme avec son culte de l'homme abstrait, et surtout dans ses types bourgeois, protestantisme, déisme, etc., le complément religieux le plus convenable. Dans les modes de production de la vieille Asie, de l'antiquité en général, la transformation du produit en marchandise ne joue qu'un rôle subalterne, qui cependant acquiert plus d'importance à mesure que les communautés approchent de leur dissolution. Des peuples marchands proprement dits n'existent que dans les intervalles du monde antique, à la façon des dieux d'Epicure, ou comme les Juifs dans les pores de la société polonaise. Ces vieux organismes sociaux sont, sous le rapport de la production, infiniment plus simples et plus transparents que la société bourgeoise ; mais ils ont pour base l'immaturité de l'homme individuel — dont l'histoire n'a pas encore coupé, pour ainsi dire, le cordon ombilical qui l'unit à la communauté naturelle d'une tribu primitive — ou des conditions de despotisme et d'esclavage. Le degré inférieur de développement des forces productives du travail qui les caractérise, et qui par suite imprègne, tout le cercle de la vie matérielle, l'étroitesse des rapports des hommes, soit entre eux, soit avec la nature, se reflète idéalement dans les vieilles religions nationales. En général, le reflet religieux du monde réel ne pourra disparaître que lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l'homme des rapports transparents et rationnels avec ses semblables et avec la nature. La vie sociale, dont la production matérielle et les rapports qu'elle implique forment la base, ne sera dégagée du nuage mystique qui en voile l'aspect, que le jour où s'y manifestera l'œuvre d'hommes librement associés, agissant consciemment et maîtres de leur propre mouvement social. Mais cela exige dans la société un ensemble de conditions d'existence matérielle qui ne peuvent être elles-mêmes le produit que d'un long et douloureux développement.»
[Karl Marx, Le Capital, Livre premier, Tome I [Traduction Joseph Roy], Paris, Editions Sociales, 1975, pages 90-91]
« Pour une société de producteurs de marchandises dont le rapport de production social général consiste à se rapporter à leurs produits comme à des marchandises, et donc à des valeurs, et à référer leurs travaux privés les uns aux autres sous cette forme impersonnelle de choses comme autant de travail humain semblable, le christianisme avec son culte de l'homme abstrait, notamment dans son développement bourgeois, dans le protestantisme, le déisme, etc., est la forme de religion la plus appropriée. Dans les modes de production de l'Asie ancienne, de l'Antiquité, etc. , la transformation du produit en marchandise, et donc l'existence des hommes comme producteurs de marchandises, joue un rôle subalterne qui gagne cependant en importance à mesure que les communautés entrent dans leur stade de déclin. Il n'existe de peuples commerçants à proprement parler que dans les intermondes de l'univers antique, comme les dieux d'Epicure, ou comme les Juifs dans les pores de la société polonaise.Ces anciens organismes sociaux de production sont extraordinairement plus simples et plus transparents que l'organisme bourgeois, mais ils reposent soit sur l'immaturité de l'homme individuel qui ne s'est pas encore détaché du cordon ombilical des liens génériques naturels qu'il a avec les autres, soit sur des rapports immédiats de domination et de servitude. Ils ont pour condition un bas niveau de développement des forces productives du travail auquel correspond l'inhibition des rapports humains dans le procès matériel de reproduction de leur existence, donc dans leurs rapports entre eux et à l'égard de la nature. Cette inhibition réelle se reflète idéellement dans les vieilles religions de la nature et les religions populaires. Le reflet religieux du monde réel ne peut disparaître de manière générale qu'une fois que les rapports de la vie pratique des travaux et des jours représentent pour les hommes, de manière quotidienne et transparente, des relations rationnelles entre eux et avec la nature. La configuration du procès social d'existence, c'est-à-dire du procès de production matérielle, ne se débarrasse de son nébuleux voile mystique, qu'une fois qu'elle est là comme produit d'hommes qui se sont librement mis en société, sous leur propre contrôle conscient et selon leur plan délibéré. Mais cela requiert pour la société une autre base matérielle, c'est-à-dire toute une série de conditions matérielles d'existence qui sont elles-mêmes à leur tour le produit naturel d'un long et douloureux développement historique.»
[Karl Marx, Le Capital, Livre 1 [Traduction 4ème édition allemande], Paris, Messidor/Editions Sociales, 1983, pages 90-91]
« La campagne préliminaire du capital avait échoué, et la loi sur les 10 heures entra en vigueur le 1er mai 1848. Cependant le fiasco du parti chartiste, dont les chefs avaient été incarcérés et l'organisation brisée, avait déjà ébranlé la confiance que la classe ouvrière anglaise avait en elle-même. Peu de temps après, l'insurrection parisienne de juin étouffée dans le sang sonna le rassemblement, en Europe continentale comme en Angleterre, de toutes les fractions des classes dominantes, propriétaires fonciers et capitalistes, méchants loups de la Bourse et petits boutiquiers, protectionnistes et libre-échangistes, gouvernement et opposition, curés et libre-penseurs, jeunes putains et vieilles bonnes sœurs sous le mot d'ordre commun de sauvegarde de la propriété, de la religion, de la famille et de la société ! Partout la classe ouvrière fut frappée d'infamie, mise au ban, soumise à la « loi des suspects». Ces Messieurs les fabricants n'avaient donc plus besoin de se gêner.»
[Karl Marx, Le Capital, Livre 1 [Traduction 4ème édition allemande], Paris, Messidor/Editions Sociales, 1983, page 319]
« La technologie révèle le comportement actif de l'homme envers la nature, le procès immédiat de production de sa vie, donc aussi des conditions sociales de son existence et des conceptions intellectuelles qui en découlent. Et même toute histoire de la religion qui fait abstraction de cette base matérielle est elle aussi non critique. Il est en effet plus facile de trouver par l'analyse le noyau terrestre des conceptions religieuses les plus nébuleuses, qu'à l'inverse de développer à partir de chaque condition réelle d'existence ses formes célestifiées. C'est cette dernière méthode qui est l'unique méthode matérialiste, et donc scientifique. Les lacunes du matérialisme abstrait fondé sur les sciences de la nature et qui exclut le procès historique sont déjà visibles dans les représentations abstraites et idéologiques de ses porte-parole, dès lors qu'ils se hasardent au-delà de leur spécialité.»
[Karl Marx, Le Capital, Livre 1 [Traduction 4ème édition allemande], Paris, Messidor/Editions Sociales, 1983, page 418]
« Cette accumulation initiale joue dans l'économie politique à peu près le même rôle que le péché originel en théologie. Adam a mordu la pomme et le péché s'est abattu sur le genre humain. On en explique l'origine en la racontant comme une anecdote du temps passé. Il était une fois, il y a bien longtemps de cela, une élite laborieuse d'un côté, intelligente et avant tout économe, et de l'autre, une bande de canailles fainéantes, qui gaspillait sans compter les biens de cette élite. La légende religieuse de la chute théologique nous raconte, il est vrai, comment l'homme fut condamné à gagner son pain à la sueur de son front; l'histoire du péché originel économique, en revanche, nous révèle pourquoi il est des gens qui n'en ont nul besoin. Passons !... Or il advint ainsi que les uns accumulèrent de la richesse et que les autres n'eurent en définitive rien d'autre à vendre que leur peau. Et c'est de ce péché originel que datent la pauvreté de la grande masse qui, en dépit de tout son travail, n'a toujours rien d'autre à vendre qu'elle-même, et la richesse de quelques-uns, qui croît continuellement, bien qu'ils aient depuis longtemps cessé de travailler; c'est ce genre d'histoire puérile et insipide que, par exemple, Monsieur Thiers rabâche encore aux Français, jadis si spirituels, en y mettant le sérieux solennel de l'homme d'État, pour défendre la propriété. Il est vrai que dès que la question de la propriété entre en jeu, c'est un devoir sacré de s'en tenir mordicus aux vérités d'abécédaire, seule perspective valable pour toutes les classes d'âge et tous les stades de développement. Chacun sait que dans l'histoire réelle le premier rôle est tenu par la conquête, l'asservissement, le crime et le pillage, en un mot, par la violence. Dans la suave économie politique, c'est l'idylle qui a toujours régné. Droit et «travail» furent de tout temps les uniques moyens d'enrichissement, exception faite chaque fois, naturellement, de «cette année». En réalité, les méthodes de l'accumulation initiale sont tout ce qu'on voudra sauf idylliques.»
[Karl Marx, Le Capital, Livre 1 [Traduction 4ème édition allemande], Paris, Messidor/Editions Sociales, 1983, pages 803-804]
« Le système de la monnaie est essentiellement catholique, celui du crédit essentiellement protestant. «The Scotch hate gold. » La marchandise, lorsqu'elle est représentée par la monnaie de papier, a une existence purement sociale. C'est la foi qui sauve : la foi en la valeur monétaire considérée comme l'âme de la marchandise, la foi dans le système de production et son ordonnance prédestinée, la foi dans les agents de la production personnifiant le capital ayant le pouvoir d'augmenter par lui-même sa valeur. Mais, de même que le protestantisme ne s'émancipe guère des fondements du catholicisme, de même le système du crédit ne s'élève pas au-dessus de la base du système de la monnaie.»
[Karl Marx, Le Capital, Livre troisième, Tome II, Paris, Editions Sociales, 1970, page 252]
« La domination du capitaliste sur le travailleur est par conséquent la domination de la chose sur l'homme, du travail mort sur le travail vivant, du produit sur le producteur, puisqu'en fait les marchandises qui deviennent des moyens de domination (mais seulement en tant que moyens de la domination du capital lui-même) sur les travailleurs sont de simples résultats du procès de production, les produits de ce dernier. C'est exactement le même rapport dans la production matérielle, dans le procès réel de la vie sociale -car c'est bien ce qu'est le procès de production- que celui qui, dans le domaine idéologique, est représenté par la religion, le renversement du sujet dans l'objet, et inversement. Considéré d'un point de vue historique, ce renversement apparaît comme le point de passage nécessaire pour imposer par force, aux dépens du plus grand nombre, la création de la richesse comme telle, c'est-à-dire le développement impitoyable des forces productives du travail social, qui seules peuvent former la base matérielle d'une libre société humaine. Il est nécessaire d'en passer par cette forme antagonique, de même qu'il est nécessaire que l'être humain se figure ses propres forces spirituelles d'abord sous une forme religieuse, comme des puissances indépendantes. C'est le procès d'aliénation de son propre travail.»
[Karl Marx, Le chapitre VI, manuscrits de 1863-1867 – Le Capital, livre I, Paris, Les Editions Sociales (GEME), 2010, pages 131-132]
« Toutes ces contradictions sont celles de la production capitaliste en train de se dégager de la société féodale et ne donnant plus de cette dernière qu'une interprétation bourgeoise sans avoir pour autant trouvé encore sa forme caractéristique, de même la philosophie commence-t-elle à s'élaborer dans la forme religieuse de la conscience, anéantissant d'une part la religion en tant que telle tandis que, d'autre part, elle ne se meut encore que dans cette sphère religieuse idéalisée, entièrement dissoute en pensée.»
[Karl Marx, Théories sur la plus-value (Livre 4 du «Capital»), Tome I, Paris, Editions Sociales, 1974, page 40]
« Tous les peuples n'ont pas les mêmes dispositions pour la production capitaliste. Quelques peuples d'origine très ancienne, comme les Turcs, n'en n'ont ni le tempérament ni les dispositions. Mais ce sont là des exceptions. Avec le développement de la production capitaliste se crée un niveau moyen de la société bourgeoise, et partant des tempéraments et des dispositions dans les différents peuples. Essentiellement cosmopolites comme le christianisme. C'est pour cette raison que le christianisme est la religion spécifique du capital. Dans l'un et l'autre, seul compte l'homme. En soi et pour soi, un homme a aussi peu et autant de valeur qu'un autre. Dans l'un tout dépend s'il a la foi, et dans l'autre, s'il a du crédit. En outre vient s'ajouter il est vrai la prédestination pour l'un. Pour l'autre le hasard d'avoir de l'argent par sa naissance ou de n'en avoir pas»
[Karl Marx, Théories sur la plus-value (Livre 4 du «Capital»), Tome III, Paris, Editions Sociales, 1976, pages 532-533]
« Une fois abolies l'armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l'ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l'outil spirituel de l'oppression, le pouvoir des prêtres; elle décréta la dissolution et l'expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l'instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d'instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l'Église et de l'État. Ainsi, non seulement l'instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l'avaient chargée.»
[Karl Marx, La guerre civile en France, 1871, Paris, Editions Sociales, 1972, page 42]
« «Liberté de conscience !» Si on voulait, par ces temps de Kulturkampf, rappeler au libéralisme ses vieux mots d'ordre, on ne pouvait le faire que sous cette forme : «chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels, sans que la police y fourre le nez». Mais le Parti ouvrier avait là, l'occasion d'exprimer sa conviction que la bourgeoise «liberté de conscience» n'est rien de plus que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, tandis que lui s'efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse. Seulement on se complaît à ne pas dépasser le niveau «bourgeois».»
[Karl Marx, Critique du programme de Gotha, Paris, Les Editions Sociales (GEME), 2008, page 78]
15:13 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
31 août 2018
Marx dans le texte (16)
A propos de la religion (I)
« Mais la philosophie parle des sujets religieux et philosophiques autrement que vous n’en avez parlé. Vous parlez sans avoir sans avoir étudié, elle parle après avoir étudié ; vous vous adressez à la passion, elle s’adresse à l’intelligence ; vous injuriez, elle enseigne ; vous promettez le ciel et la terre, elle ne promet rien que la vérité ; vous exigez qu’on ait foi en votre foi, elle n’exige pas qu’on croie à ses résultats ; elle exige l’examen par le doute ; vous épouvantez, elle apaise. Et, en vérité, la philosophie connaît assez le monde pour savoir que ses résultats ne flagornent pas la recherche du plaisir et l’égoïsme pas plus dans le ciel que sur la terre ; mais le public épris de la vérité, de la connaissance pour elles-mêmes, pourra comparer sans doute son jugement et sa moralité au jugement et à la moralité de plumitifs ignares, serviles, inconséquents et stipendiés.
Certes, il arrivera que tel ou tel lecteur, par étroitesse de pensée et de sentiments, interprète faussement la philosophie mais, vous les protestants, ne croyez-vous pas que les catholiques interprètent faussement le christianisme, ne reprochez-vous pas à la religion chrétienne les périodes ignominieuses du VIIIe et du IXe siècles, la Saint-Barthélémy ou l’Inquisition ?
Pour une grande part la haine de la théologie protestante contre les philosophes provient de la tolérance dont fait preuve la philosophie à l’égard de la confession particulière en tant que telle : il existe de ce fait des preuves évidentes. On a davantage reproché à Feuerbach, à Strauss de tenir les dogmes catholiques pour des dogmes chrétiens que d’avoir déclaré que les dogmes du christianisme n’étaient pas des dogmes de la raison.
Mais si quelques individus ne digèrent pas la philosophie moderne et meurent d’indigestion philosophique, cela ne constitue pas une preuve contre la philosophie ; pas plus que le fait que de temps en temps une chaudière à vapeur explose et projette en l’air quelques voyageurs, n’est une preuve contre la mécanique.
La question de savoir si des questions philosophiques et religieuses doivent être discutées dans les journaux, se trouve résolue par son vide même.
Si de tels problèmes intéressent le public sous forme de questions traitées dans les journaux, c’est qu’elles sont devenues des questions d’actualité, alors la question ne se pose pas de savoir si on doit les discuter ; alors la question se pose de savoir où et comment on doit en discuter : doivent-elles être traitées au sein des familles et dans les hôtels, les écoles et l’église mais pas dans la presse ? par les adversaires de la philosophie, mais pas par les philosophes ? dans le langage obscur de l’opinion privée, mais pas dans la langue de la raison publique qui clarifie les problèmes ? alors la question se pose de savoir si ce qui vit dans la réalité est du domaine de la presse ; mais alors ce n’est plus le problème d’un contenu particulier de la presse, c’est la question générale qui est posée : la presse doit-elle être une presse réelle, c’est-à-dire une presse libre ?
Quant à la seconde question, nous la séparerons complètement de la première : «La politique doit-elle être traitée philosophiquement par les journaux dans un Etat dit chrétien ?»
Si la religion devient une qualité politique, un sujet de la politique, il n’est presque plus nécessaire, semble-t-il, de noter que les journaux ont non seulement le droit mais l’obligation de discuter de sujets politiques. Il semble a priori que la sagesse de ce monde, la philosophie, a davantage le droit de se préoccuper du royaume de ce monde, de l’Etat, que la sagesse de l’autre monde, la religion. La question qui se pose alors est, non pas de savoir si l’on doit philosopher sur l’Etat : bien ou mal, philosophiquement ou antiphilosophiquement, avec préjugés ou sans préjugé, en pleine lucidité ou sans lucidité, avec esprit de suite ou sans esprit de suite, rationnellement à 100 % ou à moitié seulement. Si vous transformez la religion en théorie du droit public, vous faites de la religion elle-même une sorte de philosophie.
N’est-ce pas surtout le christianisme qui a séparé l’Eglise et l’Etat ?
Lisez Saint-Augustin, De civitate Dei, étudiez les Pères de l’Eglise et l’esprit du christianisme, et revenez ensuite nous dire si c’est l’Etat ou l’Eglise qui est «l’Etat chrétien» ! Ou bien est-ce que chaque instant de votre vie pratique ne dément pas votre théorie ? Tenez-vous pour injuste de faire appel aux tribunaux si vous êtes dupés ? Mais l’apôtre écrit que c’est injuste. Tendez-vous la joue droite quand on vous frappe à la joue gauche, ou bien n’intentez-vous pas un procès pour voies de fait ? Mais l’Evangile l’interdit. Demandez-vous une justice rationnelle en ce monde, ne grognez-vous pas à la moindre élévation d’un impôt, n’êtes-vous pas hors de vous-même à la moindre atteinte contre votre liberté personnelle ? Mais ne vous est-il pas dit que les souffrances temporelles ne sont rien comparées à la splendeur de la vie future, que se résigner à la souffrance et placer son bonheur dans l’espérance sont les vertus cardinales ?
La plus grande partie des procès que vous engagez et la plus grande partie des lois civiles, n’ont-ils pas trait à la propriété ? Mais il vous est dit que vos trésors ne sont pas de ce monde. Ou bien, si vous vous appuyez sur la parole qui dit qu’il faut rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu, alors ne tenez pas seulement Mammon, le Dieu de l’or, mais au moins autant la libre raison pour le César de ce monde, et «l’exercice de la libre raison», nous la nommons philosophie.
Lorsqu’on voulut au début faire de la Sainte-Alliance, une alliance quasi religieuse entre Etats, la religion devenant l’armoirie des Etats européens, c’est le pape qui refusa d’adhérer à cette Sainte-Alliance, témoignant de beaucoup de profondeur et de la conséquence la plus stricte, car, dit-il, le lien chrétien universel entre les peuples c’est l’Eglise et non la diplomatie, non une alliance temporelle entre Etats.
L’Etat véritablement religieux est l’Etat théocratique ; le souverain, dans des Etats de ce genre, doit ou bien, comme c’est le cas dans l’Etat juif, être le dieu de la religion, le Jéhovah, ou bien, comme au Thibet, être le représentant du dieu, le Dalaï Lama, ou bien enfin, comme le demande à juste raison aux Etats chrétiens Görres dans son dernier ouvrage, tous doivent se soumettre à une Eglise, qui est une «Eglise infaillible», car lorsqu’il n’existe pas de chef suprême de l’Eglise, comme c’est le cas dans le protestantisme, la domination de la religion n’est rien d’autre que la religion de la domination, le culte de la volonté du gouvernement.
Dès qu’un Etat englobe plusieurs confessions égales en droits, il ne peut être un Etat religieux sans porter atteinte aux confession religieuses particulières, sans être une Eglise qui condamne tout fidèle d’une autre confession comme hérétique, qui fait dépendre chaque morceau de pain de la foi, qui fait du dogme le lien entre les individus et leur existence en tant que citoyens. Demandez-le aux habitants catholiques de la «pauvre, verte Erin», demandez-le aux huguenots d’avant la Révolution française, ce n’est pas à la religion qu’ils en ont appelé, car leur religion n’était pas une religion d’Etat, mais aux «droits de l’humanité» ; et la philosophie interprète les droits de l’humanité, elle demande que l’Etat soit l’Etat de la nature humaine.
Mais, dit le rationaliste honteux, borné et aussi incroyant que théologien, c’est l’esprit universel du christianisme, abstraction faite des différences de confession, qui doit être l’esprit de l’Etat ! Voilà l’irréligiosité suprême, c’est outrecuidance de la raison temporelle que séparer l’esprit universel de la religion positive ; séparer ainsi la religion de ses dogmes et de ses institutions revient à affirmer que l’esprit universel du droit doit régner dans l’Etat, abstraction faite des lois déterminées et des institutions positives du droit.
Si vous prétendez vous placer tellement au-dessus de la religion que vous êtes justifiés à séparer l’esprit universel de celle-ci des institutions positives où elle se définit, qu’avez-vous à reprocher aux philosophes lorsqu’ils poussent cette séparation jusqu’à son terme et ne s’arrêtent pas à mi-chemin, lorsqu’ils disent que l’esprit universel de la religion, n’est pas l’esprit du christianisme mais l’esprit de l’humanité.
Les chrétiens habitent dans des Etats aux constitutions différentes, les uns en république, d’autres dans une monarchie absolue. Le christianisme ne décide pas dans quelle mesure les constitutions sont bonnes, car il ne connaît pas de différence entre les constitutions ; il enseigne, comme la religion doit le faire : soyez soumis à l’autorité, car toute autorité émane de Dieu. Ce n’est donc pas en partant du christianisme, mais de la nature propre, de l’essence de l’Etat que vous devez décider si les constitutions sont justes, non à partir de la nature de la société chrétienne, mais de la nature de la société humaine.
L’Etat byzantin a été l’Etat religieux par excellence, car les dogmes y étaient affaires d’Etat, mais l’Etat byzantin a été le plus mauvais des Etats. Les Etats de l’ancien régime ont été les Etat les plus chrétiens, mais ils n’en ont pas moins été les Etats où régnait «le bon plaisir de la cour».
Il existe un dilemme auquel le «bon sens» ne saurait se soustraire.
Ou bien l’Etat chrétien répond au concept de l’Etat, qui est d’être une réalisation de la liberté selon la raison, et alors la seule exigence pour qu’un Etat soit chrétien est qu’il soit rationnel, et alors il suffit de déduire l’Etat du caractère rationnel des rapports humains, c’est à quoi s’emploie la philosophie. Ou bien l’Etat de la liberté selon la raison ne peut être déduit du christianisme et alors vous conviendrez vous-même que ce développement n’est pas inclus dans la tendance du christianisme puisque celui-ci ne peut vouloir un Etat mauvais et qu’un Etat qui n’est pas une réalisation de la liberté selon la raison, est un Etat mauvais.
Vous pouvez apporter à ce dilemme la réponse que vous voudrez : vous devrez bien convenir que l’Etat ne doit pas être construit à partir de la religion mais à partir du caractère rationnel de la liberté. Il n’y a que l’ignorance la plus crasse qui puisse soutenir que cette théorie du caractère autonome que prend le concept d’Etat est une fantaisie soudaine des philosophes modernes.
La philosophie n’a rien fait en matière de politique que n’aient accompli la physique, les mathématiques, la médecine, chaque science dans sa sphère respective. Bacon de Verulam a déclaré que la physique théologique était une vierge vouée à Dieu, et stérile : il a émancipé la physique de la théologie et elle est devenue féconde. Pas plus que vous ne demandez au médecin s’il est croyant, vous ne devez poser cette question au politique. Dans la période qui précède et qui suit immédiatement la grande découverte par Copernic du vrai système solaire, on découvrit également la loi de la gravitation de l’Etat ; on trouva son centre de gravité en lui-même et, les divers gouvernements européens cherchèrent à appliquer cette découverte, avec le manque de profondeur de toute première mise en pratique, dans le système de l’équilibre des pouvoirs, de même, d’abord Machiavel, Campanella, puis plus tard Hobbes, Spinoza, Hugo, Grotius, jusqu’à Rousseau, Fichte, Hegel se mirent à considérer l’Etat avec des yeux humains et à déduire ses lois naturelles de la raison et de l’expérience, et non de la théologie, tout comme Copernic, qui passa outre au fait que Josué eût ordonné au soleil de s’arrêter sur Gabaon et à la lune sur la vallée d’Ajalon. La philosophie moderne n’a fait que continuer un travail qu’Héraclite et Aristote déjà avaient entrepris. Vous ne polémiquez donc pas contre la raison de la philosophie moderne, vous polémiquez contre la philosophie toujours neuve de la raison.»
[Karl Marx, Gazette Rhénane, juillet 1842, in Marx-Engels, Sur la religion, Paris, Editions sociales, 1972, pages 33-39]
« J'ai exprimé ensuite le désir que la religion soit critiquée à travers la situation politique plutôt que la situation politique à travers la religion, parce que ce détour répond mieux à la nature d'un journal et à la formation du public, parce que la religion, vide de substance par elle-même, ne tire pas son existence du ciel, mais de la terre, et s'écroule d'elle-même dès qu'on détruit l'absurde réalité dont elle est la théorie. Enfin je voulais que, si l'on parlait de philosophie, l'on jouât moins avec le label «Athéisme et Cie» (cela fait penser aux enfants qui assurent à qui veut les entendre qu'ils n'ont pas peur du loup-garou), mais qu'on exposât plutôt au peuple le contenu de l'athéisme. Voilà tout.»
[Lettre à Arnold Ruge, le 30 novembre 1842, in Marx-Engels, Correspondance, Tome I, Paris, Editions Sociales, 1971, page 274]
« A l'instant même, je reçois la visite du chef de la communauté juive d'ici ; il me demande de rédiger pour les Juifs une pétition destinée à la Diète, et je vais le faire. Si grande que soit ma répugnance pour la religion israélite, la manière de voir de Bauer me paraît trop abstraite. Il s'agit de pratiquer le plus de brèches possibles dans l'Etat chrétien et d'y introduire en fraude la raison, autant qu'il dépend de nous. Il faut du moins s'y efforcer -et l'exaspération augmente avec chaque pétition qui est rejetée avec des protestations.»
[Lettre à Arnold Ruge, le 13 mars 1843, in Marx-Engels, Correspondance, Tome I, Paris, Editions sociales, 1971, page 290]
« Deux ordres de fait sont indéniables. La religion d'une part, la politique de l'autre sont les sujets qui sont au centre de l'intérêt dans l'Allemagne d'aujourd'hui ; il nous faut les prendre comme point de départ dans l'état où elles sont, et non pas leur opposer un système tout fait du genre Voyage en Icarie. La raison a toujours existé mais pas toujours sous sa forme raisonnable. On peut donc rattacher la critique à toute forme de conscience théorique et pratique et dégager, des formes propres de la réalité existante, la réalité véritable comme son Devoir-Etre et sa destination finale. (...)
A partir de ce conflit de l'Etat politique avec lui-même se développe donc partout la vérité des rapports sociaux. De même que la religion est l'abrégé des combats théoriques de l'humanité, l'Etat politique est donc l'expression, sous sa forme propre -sous forme politique- de toutes les luttes et vérités sociales.»
[Lettre à Arnold Ruge, septembre 1843, in Marx-Engels, Correspondance, Tome I, Paris, Editions Sociales, 1971, pages 298-299]
«Le fondement de la critique irréligieuse est : c'est l'homme qui fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. C'est-à-dire que la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu'a l'homme qui ne s'est pas encore atteint lui-même, ou bien s'est déjà reperdu. Mais l'homme, ce n'est pas une essence abstraite blottie quelque part hors du monde. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu'ils sont eux-mêmes un monde à l'envers. La religion est la théorie universelle de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, le fondement universel de sa consolation et de sa justification. Elle est la réalisation fantasmagorique de l'essence humaine, parce que l'essence humaine ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion c'est donc indirectement lutter contre le monde dont la religion est l'arôme spirituel.
La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d'un monde sans coeur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple.
Abolir la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c'est exiger son bonheur réel. Exiger qu'il renonce aux illusions sur sa situation c'est exiger qu'il renonce à une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l'auréole.»
[Karl Marx, Critique du droit politique hégélien (« Introduction »), Paris, Editions Sociales, 1975, pages 197-198]
« Vous avez -j'ignore si c'est délibérément- donné dans ces écrits un fondement philosophique au socialisme, et c'est dans cet esprit que les communistes ont tout de suite compris ces travaux. L'unité entre les hommes et l'humanité, qui repose sur les différences réelles entre les hommes, le concept de genre humain ramené du ciel de l'abstraction à la réalité terrestre, qu'est-ce sinon le concept de société. (...)
C'est un phénomène remarquable de voir que, à l'inverse du 18ème siècle, la religiosité est devenue le fait des classes moyennes et de la classe supérieure, alors que par contre l'irreligion -j'entends par là celle de l'homme, qui se sent homme véritablement- est devenue l'apanage du prolétariat français. Il faudrait que vous ayez assisté à une des réunions d'ouvriers français pour pouvoir croire à la fraîcheur juvénile, à la noblesse qui se manifestent chez ces ouvriers éreintés. Le prolétaire anglais fait aussi des progrès gigantesques, mais il lui manque le caractère cultivé des Français. Mais je ne dois pas oublier de souligner les mérites des ouvriers allemands en Suisse, à Londres, à Paris sur le plan théorique. Seulement l'ouvrier allemand reste encore trop ouvrier.»
[Lettre à Ludwig Feuerbach, le 11 août 1844, in Marx-Engels, Correspondance, Tome I, Paris, Editions sociales, 1971, pages 323-324]
« I
Le principal défaut, jusqu'ici, du matérialisme de tous les philosophes – y compris celui de Feuerbach est que l'objet, la réalité, le monde sensible n'y sont saisis que sous la forme d'objet ou d'intuition, mais non en tant qu'activité humaine concrète, en tant que pratique, de façon non subjective. C'est ce qui explique pourquoi l'aspect actif fut développé par l'idéalisme, en opposition au matérialisme, — mais seulement abstraitement, car l'idéalisme ne connaît naturellement pas l'activité réelle, concrète, comme telle. Feuerbach veut des objets concrets, réellement distincts des objets de la pensée; mais il ne considère pas l'activité humaine elle-même en tant qu'activité objective. C'est pourquoi dans l'Essence du christianisme, il ne considère comme authentiquement humaine que l'activité théorique, tandis que la pratique n'est saisie et fixée par lui que dans sa manifestation juive sordide. C'est pourquoi il ne comprend pas l'importance de l'activité "révolutionnaire", de l'activité "pratique-critique".
II
La question de savoir s'il y a lieu de reconnaître à la pensée humaine une vérité objective n'est pas une question théorique, mais une question pratique. C'est dans la pratique qu'il faut que l'homme prouve la vérité, c'est-à-dire la réalité, et la puissance de sa pensée, dans ce monde et pour notre temps. La discussion sur la réalité ou l'irréalité d'une pensée qui s'isole de la pratique, est purement scolastique.
III
La doctrine matérialiste qui veut que les hommes soient des produits des circonstances et de l'éducation, que, par conséquent, des hommes transformés soient des produits d'autres circonstances et d'une éducation modifiée, oublie que ce sont précisément les hommes qui transforment les circonstances et que l'éducateur a lui-même besoin d'être éduqué. C'est pourquoi elle tend inévitablement à diviser la société en deux parties dont l'une est au-dessus de la société (par exemple chez Robert Owen).
La coïncidence du changement des circonstances et de l'activité humaine ou auto-changement ne peut être considérée et comprise rationnellement qu'en tant que pratique révolutionnaire.
IV
Feuerbach part du fait que la religion rend l'homme étranger à lui-même et dédouble le monde en un monde religieux, objet de représentation, et un monde temporel. Son travail consiste à résoudre le monde religieux en sa base temporelle. Il ne voit pas que, ce travail une fois accompli, le principal reste encore à faire. Le fait, notamment, que la base temporelle se détache d'elle-même, et se fixe dans les nuages, constituant ainsi un royaume autonome, ne peut s'expliquer précisément que par le déchirement et la contradiction internes de cette base temporelle. Il faut donc d'abord comprendre celle-ci dans sa contradiction pour la révolutionner ensuite pratiquement en supprimant la contradiction. Donc, une fois qu'on a découvert, par exemple, que la famille terrestre est le secret de la famille céleste, c'est la première désormais dont il faut faire la critique théorique et qu'il faut révolutionner dans la pratique.
V
Feuerbach, que ne satisfait pas la pensée abstraite, en appelle à l'intuition sensible; mais il ne considère pas le monde sensible en tant qu'activité pratique concrète de l'homme.
VI
Feuerbach résout l'essence religieuse en l'essence humaine. Mais l'essence de l'homme n'est pas une abstraction inhérente à l'individu isolé. Dans sa réalité, elle est l'ensemble des rapports sociaux.
Feuerbach, qui n'entreprend pas la critique de cet être réel, est par conséquent obligé :
-
De faire abstraction du cours de l'histoire et de faire de l'esprit religieux une chose immuable, existant pour elle-même, en supposant l'existence d'un individu humain abstrait, isolé.
-
De considérer, par conséquent, l'être humain uniquement en tant que "genre", en tant qu'universalité interne, muette, liant d'une façon purement naturelle les nombreux individus.
VII
C'est pourquoi Feuerbach ne voit pas que l'"esprit religieux" est lui-même un produit social et que l'individu abstrait qu'il analyse appartient en réalité à une forme sociale déterminée.
VIII
Toute vie sociale est essentiellement pratique. Tous les mystères qui détournent la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique.
IX
Le résultat le plus avancé auquel atteint le matérialisme intuitif, c'est-à-dire le matérialisme qui ne conçoit pas l'activité des sens comme activité pratique, est la façon de voir des individus isolés et de la société bourgeoise.
X
Le point de vue de l'ancien matérialisme est la société "bourgeoise". Le point de vue du nouveau matérialisme, c'est la société humaine, ou l'humanité socialisée.
XI
Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c'est de le transformer.»
[Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, in Marx-Engels, L'idéologie allemande, Paris, Editions Sociales, 1976, pages 1-4]
« La production des idées, des représentations et de la conscience est d'abord directement et intimement mêlée à l'activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie réelle. Les représentations, la pensée, le commerce intellectuel des hommes apparaissent ici encore comme l'émanation directe de leur comportement matériel. Il en va de même de la production intellectuelle telle qu'elle se présente dans la langue de la politique, celle des lois, de la morale, de la religion, de la métaphysique, etc. de tout un peuple. Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leur représentations, de leurs idées, etc., mais les hommes réels, agissants, tels qu'ils sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces productives et des rapports qui y correspondent, y compris les formes les plus larges que ceux-ci peuvent prendre. La conscience ne peut jamais être autre chose que l'être conscient et l'être des hommes est leur processus de vie réel. Et si, dans toute l'idéologie, les hommes et leurs rapports nous apparaissent placés la tête en bas comme dans une camera obscure, ce phénomène découle de leur processus de vie historique, absolument comme le renversement des objets sur la rétine découle de son processus de vie directement physique.
A l'encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, c'est de la terre au ciel que l'on monte ici. Autrement dit, on ne part pas de ce que les hommes disent, s'imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu'ils sont dans les paroles, la pensée, l'imagination et la représentation d'autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en os; non, on part des hommes dans leur activité réelle, c'est à partir de leur processus de vie réel que l'on représente aussi le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital. Et même les fantasmagories dans le cerveau humain sont des sublimations résultant nécessairement du processus de leur vie matérielle que l'on peut constater empiriquement et qui repose sur des bases matérielles. De ce fait, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l'idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d'autonomie. Elles n'ont pas d'histoire, elles n'ont pas de développement; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs rapports matériels, transforment, avec cette réalité qui leur est propre, et leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience.»
[Karl Marx et Friedrich Engels, L'idéologie allemande, Paris, Editions Sociales, 1976, page 20-21]
«Pourquoi les idéologues mettent tout la tête en bas.
Religieux, juristes politiciens.
Juristes, politiciens (hommes d'Etat, plus généralement), moralistes, religieux.
Pour cette subdivision idéologique à l'intérieur d'une même classe. La division du travail rend autonome chacune de ces occupations ; chacun tient son métier pour le vrai. Ils se font d'autant plus d'illusions sur les liens de leur métier avec la réalité que la nature même de leur métier l'implique déjà. Dans la jurisprudence, la politique, etc. , les rapports se transforment en concepts dans la conscience ; parce qu'ils n'ont pas eux-mêmes dépassé ces rapports, les concepts de ces rapports sont dans leur tête des rapports figés ; le juge, par exemple, applique le Code, d'où le fait que, pour lui, la législation c'est le véritable moteur. Ont le respect de leur marchandise ; c'est que leur occupation est en rapport avec l'universel.
Idée du droit. Idée de l'Etat. Dans la conscience commune, la chose est mise la tête en bas...
La religion est d'entrée de jeu la conscience de la transcendance qui résulte de la nécessité réelle.
Ceci plus vulgairement...
Tradition pour le droit, la religion, etc.»
[Notes. Tirées du manuscrit « I. Feuerbach », in Marx-Engels, L'idéologie allemande, Paris, Editions Sociales, 1976, page 563]
« Les principes sociaux du christianisme ont eu maintenant dix-huit siècles pour se développer et n'ont pas besoin d'un supplément de développement par des conseillers au consistoire prussiens.
Les principes sociaux du christianisme ont justifié l'esclavage antique, magnifié le servage médiéval et s'entendent également, au besoin, à défendre l'oppression du prolétariat, même s'ils le font avec de petits airs navrés.
Les principes sociaux du christianisme prêchent la nécessité d'une classe dominante et d'une classe opprimée et n'ont à offrir à celle-ci que le voeu pieux que la première veuille bien se montrer charitable.
Les principes sociaux du christianisme placent dans le ciel ce dédommagement de toutes les infamies dont parle notre conseiller, justifiant par là leur permanence sur cette terre.
Les principes sociaux du christianisme déclarent que toutes les vilenies des oppresseurs envers les opprimés sont, ou bien juste châtiment du péché originel et des autres péchés, ou bien les épreuves que le Seigneur, dans sa sagesse infinie, inflige à ceux qu'il a rachetés.
Les principes sociaux du christianisme prêchent la lâcheté, le mépris de soi, l'avilissement, la servilité, l'humilité, bref toutes les qualités de la canaille ; le prolétariat qui ne veut pas se laisser traiter en canaille, a besoin de son courage, du sentiment de sa dignité, de sa fierté et de son esprit d'indépendance beaucoup plus encore que de son pain.
Les principes sociaux du christianisme sont des principes de cafards et le prolétariat est révolutionnaire.
En voilà assez pour les principes sociaux du christianisme.»
[Le communisme de « l'observateur rhénan », Gazette allemande de Bruxelles, 12 septembre 1847, in Marx-Engels, Sur la religion, Paris, Editions Sociales, 1972, pages 82-83]
« Les économistes ont une singulière manière de procéder. Il n'y a pour eux que deux sortes d'institutions, celles de l'art et celles de la nature. Les institutions de la féodalité sont des institutions artificielles, celles de la bourgeoisie sont des institutions naturelles. Ils ressemblent en ceci aux théologiens, qui, eux aussi, établissent deux sortes de religions. Toute religion qui n'est pas la leur est une invention des hommes, tandis que leur propre religion est une émanation de Dieu. »
[Karl Marx, Misère de la philosophie, Paris, Editions Sociales, 1972, page 129]
« Quant aux accusations portées d'une façon générale contre le communisme, à des points de vue religieux, philosophiques et idéologiques, elles ne méritent pas un examen approfondi.
Est-il besoin d'une grande perspicacité pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience, changent avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales leur existence sociale ?
Que démontre l'histoire des idées, si ce n'est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été que les idées de la classe dominante.
Lorsqu'on parle d'idées qui révolutionnent une société tout entière, on énonce seulement ce fait que, dans le sein de la vieille société, les éléments d'une société nouvelle se sont formés et que la dissolution des vieilles idées marche de pair avec la dissolution des anciennes conditions d'existence.
Quand le monde antique était à son déclin, les vieilles religions furent vaincues par la religion chrétienne. Quand, au XVIIIe siècle, les idées chrétiennes cédèrent la place aux idées de progrès, la société féodale livrait sa dernière bataille à la bourgeoisie, alors révolutionnaire. Les idées de liberté de conscience, de liberté religieuse ne firent que proclamer le règne de la libre concurrence dans le domaine du savoir.
Sans doute, dira-t-on, les idées religieuses, morales philosophiques, politiques, juridiques, etc., se sont modifiées au cours du développement historique. Mais la religion, la morale, la philosophie, la politique, le droit se maintenaient toujours à travers ces transformations.
Il y a de plus des vérités éternelles, telles que la liberté, la justice, etc., qui sont communes à tous les régimes sociaux. Or, le communisme abolit les vérités éternelles, il abolit la religion et la morale au lieu d'en renouveler la forme, et cela contredit tout le développement historique antérieur.
A quoi se réduit cette accusation ? L'histoire de toute la société jusqu'à nos jours était faite d'antagonismes de classes, antagonismes qui, selon les époques, ont revêtu des formes différentes.
Mais, quelle qu'ait été la forme revêtue par ces antagonismes, l'exploitation d'une partie de la société par l'autre est un fait commun à tous les siècles passés. Donc, rien d'étonnant si la conscience sociale de tous les siècles, en dépit de toute sa variété et de sa diversité, se meut dans certaines formes communes, formes de conscience qui ne se dissoudront complètement qu'avec l'entière disparition de l'antagonisme des classes.
La révolution communiste est la rupture la plus radicale avec le régime traditionnel de propriété; rien d'étonnant si, dans le cours de son développement, elle rompt de la façon la plus radicale avec les idées traditionnelles.»
[Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du Parti Communiste, in Marx-Engels, Oeuvres choisies, Moscou, Editions du Progrès, 1978, pages 47- 48]
11:08 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |