Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 202

"Si vous voulez, j'ai mis en jeu ce qui était hors-jeu : les intellectuels se trouvent toujours d'accord pour laisser hors-jeu leur propre jeu et leur propres enjeux.

Je suis revenu ainsi à la politique à partir du constat que la production des représentations du monde social, qui est une dimension fondamentale de la lutte politique, est le quasi-monopole des intellectuels : la lutte pour les classements sociaux est une dimension capitale de la lutte des classes et c'est par ce biais que la production symbolique intervient dans la lutte politique. Les classes existent deux fois, une fois objectivement et une deuxième fois dans la représentation sociale plus ou moins explicite que s'en font les agents et qui est un enjeu de luttes. Si l'on dit à quelqu'un “ce qui t'arrive, c'est parce que tu as un rapport malheureux avec ton père”, ou si on lui dit “ce qui t'arrive, c'est parce que tu es un prolétaire à qui on vole la plus-value”, ce n'est pas la même chose.

Le terrain où on lutte pour imposer la manière convenable, juste, légitime de parler du monde social ne peut pas être éternellement exclu de l'analyse ; même si la prétention au discours légitime implique, tacitement ou explicitement, le refus de cette objectivation. Ceux qui prétendent au monopole de la pensée du monde social n'entendent pas être pensés sociologiquement."

 

 

qS.jpg

07 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 201

"Le capitalisme ne guérira pas la misère du monde car il a besoin de la misère du monde.
 
De cette évidence, les révoltes d'aujourd'hui doivent être ré-instruites.
 
Arrêtons d'espérer. Commençons à vouloir."
 
 
 
 

tort.jpg

06 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 200

"Une des spécificités de l’œuvre d'Hergé tient au dualisme inhérent à ses personnages, voyous ou héros positifs. L'ensemble de la saga baigne dans une série de dualités, de contrastes entre réalisme et caricature, références techniques et merveilleux, classicisme et fantastique, rationnel et irrationnel, familier et exotique, dramatique et comique, Histoire et fiction. Les 24 albums racontent des aventures extraordinaires qui prennent racine dans le quotidien. Tintin, tel le dieu Janus, est à double face : il réalise des exploits hors du commun mais en vivant comme tout le monde, c'est un personnage héroïque et imaginaire dans un monde réel et crédible. Ce contraste se lit jusque dans le dessin du petit reporter : caricatural et inconcevable au niveau du visage, totalement réaliste du cou jusqu'aux pieds, avec son imperméable clair, son pull-over bleu, ses pantalons de golf et ses chaussures marron.

Tintin n'est pas seulement un être fantasmagorique ou surhumain, monstre de perfection et de vertu. Il n'est pas un “monstre froid”. Il est aussi notre voisin avec ses faiblesses. Cette ambivalence de Tintin, ses ambiguïtés parfois, nous permettent de mieux comprendre les dimensions multiples et souvent contradictoires des critiques adressées à l'encontre du héros de Hergé.

Cette dualité explique qu'il puisse à la fois attirer ou exaspérer, séduire ou horripiler."

 

 

nattiez.jpg

05 avril 2023

Ernest Mandel, 5 avril 1923 - 5 avril 2023

mandel.jpgCentenaire de la naissance d’Ernest Mandel.

Ernest Mandel, un nom qui ne parle sans doute plus guère à la jeunesse actuelle.

Théoricien “marxiste”, militant engagé dans la construction d’une internationale politique révolutionnaire, omniprésent sur le terrain des confrontations intellectuelles, débatteur inlassable et publiciste prolifique qui a laissé une œuvre considérable tant par son ampleur que par sa diversité. Traduit dans plus de 30 langues, il fut ainsi dans les années 60 et 70 du siècle dernier, période de (relative) renaissance d’une pensée critique et d’élan anticapitaliste, l’un de auteurs “belges” les plus lus dans le monde, avec Georges Simenon et Hergé !

Il est impossible de recenser en quelques lignes l’ensemble de ses écrits et interventions dans les débats de son temps, tant sa force de travail était grande et ses intérêts multiples : dans des domaines aussi divers que l’économie, l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, la philosophie et même l’art et la littérature (parmi ses “hobbies” : la musique classique, la peinture, les documentaires animaliers et… la lecture de romans policiers). En plus, naturellement, de ses éternelles préoccupations politiques, tactiques et stratégiques.

Il est tout aussi difficile de brosser brièvement ses activités durant près de 60 ans. Actif dès son adolescence dans le mouvement “trotskyste” puis dans la résistance anti-nazie durant les années 40-45, figure de la “gauche” du mouvement ouvrier en Belgique au lendemain de la seconde guerre mondiale (au sein de la FGTB-PSB), acteur décisif dans la création de sections de la 4ème Internationale, Ernest Mandel parcourait inlassablement les différents continents pour défendre un projet communiste démocratique, en ce y compris dans les pays où il était officiellement interdit de séjour car réputé dangereusement subversif !

Ernest Mandel, et d’aucuns le lui ont reproché, a souvent fait preuve d’un inébranlable optimisme. Volontariste décomplexé, il avait la conviction chevillée au corps du triomphe final de “l’émancipation humaine”, envers et contre tous les obstacles dressés par la classe bourgeoise et les dominants. Pour lui, il ne faisait aucun doute que cette “utopie concrète” se matérialiserait dans un avenir proche car il avait une grande confiance dans le “mouvement  impétueux  des masses” et leurs capacités d’auto-organisation.

Certes, aujourd’hui, à notre époque de télescopage de crises aigües  auxquelles est venue s’ajouter une catastrophe écologique lourde de menaces, notre futur paraît bien plus “questionnable”.

Les évolutions de ces dernières décennies, notamment depuis le décès d’Ernest Mandel (1995), n’ont évidemment pas rendu notre monde plus tolérable. Que du contraire.

Une raison supplémentaire pour ne pas renoncer et continuer à tout mettre en œuvre pour le transformer  —au-delà des discussions,  polémiques et  bilans politiques—   dans la continuité du combat de toutes les générations précédentes, dont celle d'Ernest Mandel...

 

 

 

 

citation mandel.png

 

 

 

 

Repères bibliographiques [principaux ouvrages publiés en langue française, dans l'ordre chronologique]. Traité d'économie marxiste, Julliard, 1962 Initiation à la théorie économique marxiste, CES, 1964 La formation de la pensée économique de Karl Marx, Maspero, 1967 La réponse socialiste au défi américain, Maspero, 1970 Du fascisme, Maspero, 1974 Introduction au marxisme, Fondation Lesoil, 1974 Le Troisième âge du capitalisme, UGE, 1976 La longue marche de la révolution, Galilée, 1976 Critique de l'eurocommunisme, Maspero, 1978 De la Commune à Mai 68, La Brèche, 1978 La crise 1974-1978, Flammarion, 1978 Les étudiants, les intellectuels et la lutte des classes, La Brèche, 1979 Réponse à Louis Althusser et à Jean Ellenstein, La Brèche, 1979 Trotsky, Maspero, 1980 La crise, Flammarion, 1985 Meurtres exquis. Une histoire sociale du roman policier, La Brèche, 1986 La place du marxisme dans l'histoire, IIRF, 1986 Où va l'U.R.S.S. de Gorbatchev ?, La Brèche, 1989 Octobre 1917, coup d’État ou révolution sociale. La légitimité de la Révolution Russe, IIRF, 1992 Les ondes longues du développement capitaliste, Syllepse, 2014 Sur la seconde guerre mondiale, une interprétation marxiste, La Brèche, 2018 La révolution allemande, La Brèche, 2021

 

 

mandel yerna.jpg

Ernest Mandel et Jacques Yerna (assis), secrétaire de la FGTB de Liège, lors d'un débat dans la cité Ardente en 1978. Tous deux avaient milité et  travaillé ensemble au journal "La Gauche", notamment lors de la grève de 1960-1961.

 

 

Sur Ernest Mandel

 

"Ernest Mandel appartenait à une espèce devenue fort rare en cette moitié de XXè siècle : celle des théoriciens du marxisme militant. Il était l’un de ces rares hommes ou femmes dans l’histoire du mouvement socialiste qui ont été capables de mener de pair une activité inlassable de dirigeants révolutionnaires et une œuvre intellectuelle obéissant aux critères académiques de la recherche scientifique, au point de forcer le respect des milieux universitaires."

[Gilbert ACHCAR, Un portrait intellectuel, in Le marxisme d’Ernest Mandel, PUF, 1999]

 

"C’était un grand éducateur. Son “Introduction à l’économie marxiste” a été vendu à un demi-million d’exemplaires. Et pourtant, il a passé une grande partie de son existence à se préoccuper des idées des groupes trotskystes rivaux."

[Tariq ALI, The Guardian, 23/07/1995]

 

"Toute sa vie durant il fut convaincu de la nécessité, mais aussi de la possibilité de la révolution mondiale. De là vient son enthousiasme pour le mouvement de Mai 68."

[Elmer ALVATER, Süddeutsche Zeitung, 22/07/1995]

 

"Mettre-à-penser plutôt que maître-penseur, Ernest Mandel fut pour nous un tuteur théorique et un passeur entre générations. Nous avons beaucoup appris auprès de lui sans qu’il devînt un gourou autoritaire à la manière de Michel Pablo, de Juan Posadas, de Pierre Lambert ou Tony Cliff (…). Côtoyer Ernest au quotidien était une source de connaissances et une initiation permanente aux fondamentaux du marxisme.

Polyglotte, il écrivait presque indifféremment en allemand, en anglais ou en français. Il parlait aussi un curieux sabir d’espagnol truffé d’italianisme. Mais il disait rêver en flamand, sa langue maternelle. Son rayonnement et son prestige étaient manifestes en Allemagne, en Amérique latine, dans le monde anglo-saxon (…). Malgré le succès de ses livres en éditions de poche, en France, sa notoriété est restée moindre. Il faisait pourtant preuve d’une culture multidisciplinaire bien supérieure à nombre de médiocrités mandarinales au renom éphémère. Pas assez sophistiqué, trop belge ? Trop étranger au milieu universatiro-médiatique, à sa suffisance autarcique et à sa frivolité, sans doute. Handicap supplémentaire : il était catalogué économiste et doté d’une solide culture germanique, deux caractéristiques peu compatibles avec les légèretés de l’esprit mondain à la française (…).

Homme des Lumières, confiant dans les vertus libératrices des forces productives, dans le pouvoir émancipateur de la science et dans la logique historique du progrès, il eût cependant l’intelligence de s’ouvrir précocement à l’inquiétude écologique. Avec le roman policier et la collection de timbres, les albums animaliers faisait partie de ses hobbies. Ernest était un cas exemplaire d’optimisme forcené de la volonté, tempéré par un pessimisme de la raison : la révolution en permanence l’emportait chez lui haut la main sur la catastrophe en permanence. Et la prophétie socialiste finissait (presque) toujours par terrasser la barbarie."

[Daniel BENSAÏD, Une lente impatience, Stock, 2004] 

 

"La thèse centrale des écrits politiques d’Ernest Mandel était la capacité politique de la classe ouvrière, s’incarnant dans les syndicats, les partis ouvriers et, au moment de la rupture révolutionnaire, les institutions de la dualité du pouvoir tels les conseils ouvriers et les soviets.

En comparaison avec la tendance des premiers marxistes à insister sur les limites des syndicats ou avec les politiques de Lénine contre l’économisme, Mandel était fortement attaché aux possibilités de développement du mouvement ouvrier en dépit de ses encroûtements bureaucratiques. Tout en tenant compte des critiques de Lénine, Mandel était enclin à faire sienne quelques-unes au moins des positions de Rosa Luxemburg sur la logique inhérente qui pousse une lutte ouvrière et les organisations des travailleurs dans la direction d’une contestation de la logique du capitalisme."

[Robin BLACKBURN, Ernest Mandel et la voie de la socialisation, in Le marxisme d’Ernest Mandel, PUF, 1999]

 

"Malgré ses limites et ses propres impasses, le courant trotskyste a le mérite d’avoir maintenu contre vents et marées un marxisme critique, un communisme sans compromissions avec les crimes staliniens et maoïstes, et last but not least, cet “internationalisme socialiste”, tant galvaudé, décrié, trahi, et qui reste tellement nécessaire ! Et cet apport-là, c’est notamment à des gens de la stature d’un Ernest Mandel qu’on le doit !"

[Jean-Marie CHAUVIER, La Gauche, septembre 1995]

 

"Mandel était un enfant de l’entre-deux guerres avec ses turbulences économiques et politiques catastrophiques. Son environnement familial et son histoire personnelle l’ont projeté dans l’après-guerre avec la conviction acharnée d’un adepte des idées marxistes et de la pratique révolutionnaire, dans un environnement politique largement hostile. La vague de contestation des années 60-70 renouvela cette énergie et elle se maintint pour le reste de sa vie."

[Geoffroy M. HODGSON, The Economic Journal, janvier 1997]

 

"Nos entretiens montraient que ce grand spécialiste de l’économie marxiste était aussi un fin connaisseur des problèmes concrets de la société et de la politique belges, voire des arcanes des groupes-acteurs, “pouvoirs réels” dans la prise de décision."

[Jules-Gérard LIBOIS, La Gauche, septembre 1995]

 

"De Paris à Sao Paulo, de Berlin à New-York, de Moscou à Mexico, les raisons de cet intérêt et de cette renommée sont nombreuses. L’une d’elles résidait certainement dans la dimension humaniste révolutionnaire de ses écrits.

Cette dimension, en effet, est un des principes unificateurs de la pensée d’Ernest Mandel, un fil rouge qui traverse ses travaux, qu’ils traitent du débat économique à Cuba, de la pauvreté dans le Tiers-Monde, de l’économie politique marxiste ou de la stratégie révolutionnaire aujourd’hui. Il rattachait chaque question, chaque conflit, chaque crise, à un point de vue global, celui de la lutte pour une émancipation humaine universelle et révolutionnaire. Son travail n’est pas prisonnier d’une approche étroite, technique ou tactique, d’une méthode étroitement économique ou politique, mais s’enracinait toujours dans une perspective humaniste révolutionnaire plus large, historique ou mondiale."

[Michael LÖWY, L’humanisme révolutionnaire d’Ernest Mandel, in Le marxisme d’Ernest Mandel, PUF, 1999]

 

"Ernest Mandel est beaucoup plus que l’une des grandes figures de l’extrême-gauche européenne de l’après-guerre. C’est aussi un intellectuel à l’impressionnante culture, qui a fortement marqué bien au-delà de sa propre mouvance les esprits de la gauche étudiante des années 60."

[Laurent MAUDUIT, Le Monde, 22/07/1995]

 

"Penseur formé dans un monde presque classique du XIXè siècle et héritier du siècle des Lumières, Mandel se sentait à l’aise dans de nombreuses disciplines et il était familier d’un monde littéraire et philosophique plus vaste que la seule culture marxiste."

[Jan Willem STUTJE, Ernest Mandel un révolutionnaire dans le siècle, Syllepse, 2022] 

 

"Il ne cessait de cultiver des intérêts fort divers. Il se passionnait pour Spinoza, rêvait d’écrire un livre sur la “révolution permanente en Flandre/Hollande au XVIè siècle”, se préoccupait de la question éthique, se ressourçait dans Ernst Bloch qu’il tenait pour “le plus grand philosophe marxiste du XXè siècle” et “s’encanaillait” par la lecture d’une masse de romans policiers, comme il le “confesse” dans le livre qu’il consacra à ce sujet."

[François VERCAMMEN, Inprecor, septembre 1995]

 

"Ernest Mandel a incontestablement marqué par sa pensée les travaux de la Commission d’études de la FGTB mais aussi les réflexions du groupe formé autour d’André Renard et qui ont permis à celui-ci de publier, en 1958, une brochure qui aura un grand retentissement dans le mouvement ouvrier, “Vers le socialisme par l’action”. Parmi les thèmes traités dans cette brochure, ceux de l’action directe et de la bureaucratisation avaient suscité alors un débat dans lequel Ernest allait jouer un rôle important. Ces deux thèmes occuperont souvent par la suite une place centrale dans les débats auxquels Ernest était associé."

[Jacques YERNA, La Gauche, septembre 1995]

 

 

 

MandelNewYork-d87c7.jpg

 

 

00:05 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |

"BOUQUINAGE" - 199

"La montée dans l'appareil d’État jusqu'aux fonctions exécutives de décision se fait par un long processus de sélection, dans lequel les connaissances techniques ne sont pas décisives. La conformité avec les normes générales de comportement de la bourgeoisie constitue une précondition pour réussir dans cette course vers le sommet.

De manière plus générale, il faut se rappeler que l'idéologie dominante de toute société est l'idéologie de la classe dominante, c'est-à-dire que la classe sociale qui contrôle le surproduit social contrôle aussi la superstructure entretenue par ce surproduit. La fonction de l’État bourgeois de protéger la propriété privée et de conserver des rapports de droit nécessaires à cette protection détermine, dans des conditions de stabilité sociale relative, les normes et structures de pensée et de comportement de la grande majorité de la population, qui correspondent d'ailleurs à la structure sociale. Ces normes doivent nécessairement exercer une influence idéologique de premier ordre sur les membres de la société qui ont à accomplir la fonction de conservation de l'“ordre social”, de par leur activité dans l'appareil d’État. La prédominance de l'idéologie bourgeoise demeure et doit demeurer forte en “période calme”, même dans le prolétariat, sur la base des effets sur la pensée de la division et de la parcellisation du travail et du caractère fétichiste des marchandises dans le cadre d'une production marchande généralisée. Le “sens commun” incorpore des mythes fondamentaux de cette idéologie qui passent dès lors pour évidents aux yeux de la majorité de la population, précisément par ce qu'ils ne sont rien d'autre qu'un reflet idéologique des rapports sociaux réellement existants. On comprend alors qu'elle est la formidable force d'intégration de l’État bourgeois. Elle conduit en particulier les cadres dirigeants des partis et des syndicats de masse des travailleurs, par symbiose avec l'appareil d’État au sein de nombreuses commissions de concertation, à un comportement de plus en plus conforme au système quand ce n'est pas à une réconciliation ouverte avec le capitalisme. Cet encastrement de l’État bourgeois dans une fonction déterminée par la structure sociale générale autant que par sa structure propre, c'est-à-dire celle de défendre les intérêts de classe de la bourgeoisie, demeure caché pour les acteurs comme pour les spectateurs et les victimes de la thèse mystifiante de l’État arbitre entre les classes, représentant “l'intérêt général”, ou juge neutre et bienveillant de toutes les forces pluralistes."

 

 

3.jpg

00:00 Publié dans Livre, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |

04 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 198

"Ils s'étaient figurés qu'ils auraient, à jamais, une infinité de choix et de secondes chances. Ils avaient gaspillé beaucoup trop de ce temps inappréciable qui leur avait été accordé, l'avaient gâché par l'amertume, la culpabilité et la quête futile de réponses inexistantes — alors qu'eux-mêmes, leur amour mutuel, constituait la seule réponse dont ils auraient dû rêver. Et maintenant, même l'occasion de lui dire cela, de la prendre dans ses bras pour lui faire savoir à quel point il l'avait vénérée et chérie, lui était éternellement refusée. Paméla était morte et, dans trois ans, Jeff mourrait, lui aussi, sans savoir pourquoi il avait vécu."

 

 

replay.jpg

03 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 197

"L'erreur la plus répandue revient à qualifier Didier Comès d'auteur métaphysique, à la recherche de Dieu, ou reproche formel, de connoter son œuvre comme relevant du mauvais chromo régionaliste. “Didier Comès dessine mal”, n'est-ce pas là un avis semblable à celui qu'avancent certains cuistres à propos de Balzac, qualifié de mauvais écrivain, sans que soit jamais précisé ce qu'est la valeur artistique ? Oublions donc les Abel Mauvy de la critique pour savourer notre plaisir et relisons Silence en toute sérénité. Sans doute, le poids de l'histoire pèsera sur Didier Comès. Ces dernières années, nous avons assisté au retour du récit et à l'émergence du noir et blanc. La démarche de Comès s'insère dans cette orientation dont les chefs de file sont Muñoz et Sampayo, Pratt et Tardi."

 

 

 

comès.jpg

Jean-Maurice Rosier

 

02 avril 2023

"BOUQUINAGE" - 196

"Il aurait largement le temps de se poser des questions. Des questions qu’il ne pourrait poser à personne, hormis à lui-même et au vent hululant dont la violence ne cesserait de croître.

Il y eut toutefois un interlude. Sweeny partit à pied rechercher l’émetteur, qu’il avait enterré au point H de la nomenclature de Howe, avant de rejoindre la station. Le trajet lui prit onze jours ; les efforts qu’il déploya et les privations qu’il endura auraient inspiré un roman à Jack London. Mais ces épreuves ne signifiaient rien pour lui. Il ignorait s’il aurait envie d’utiliser le poste qu’il ramenait. Et il ne se rendait pas compte que sa randonnée solitaire était une épopée, il n’avait pas conscience qu’elle constituait un exploit d’une rare difficulté. Il manquait de points de comparaison, fussent-ils littéraires : il n’avait jamais lu un seul roman. Il mesurait toutes choses en fonction des changements que ceci ou cela apportait à sa situation et la possession de la radio ne changeait rien aux questions qu’il se posait. Simplement, elle lui permettrait d’agir sur les réponses — lorsqu’il aurait des réponses."

 

 

semailles humaines.jpg