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03 février 2018

Le Manifeste du Parti Communiste a 170 ans (I)

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Février 1848. Un «manifeste» est publié en langue allemande, à Londres : Manifest der Kommunistischen Partei.

Il a été rédigé par deux jeunes intellectuels et révolutionnaires rhénans, Karl Marx et Friedrich Engels, mandatés par la «Ligue des Communistes» qu'ils avaient rejointe en 1847. Le premier n'a pas encore atteint son trentième anniversaire, le second est son cadet de 2 ans.

A peine l'opuscule sorti de l'imprimerie éclate en France la révolution, prélude à une série d'explosions révolutionnaires qui vont ébranler les structures de la vieille Europe monarchique. Un télescopage symbolique entre une oeuvre militante de grande portée théorique destinée prioritairement à la classe ouvrière et un mouvement réel qui va embraser le continent européen une année durant. Même si ce document n'a pas eu de réelle incidence sur le déroulement de ce « Printemps des peuples ».

Un quart de siècle plus tard, dans une préface écrite pour une nouvelle édition allemande, Marx et Engels précisent que la situation a «beaucoup changé au cours des 25 dernières années» mais qu'ils ne se reconnaissent «plus le droit d'y rien y changer» car «le Manifeste est un document historique» [1].

Historique, assurément. Le Manifeste est un document qui a marqué son époque et qui est connu partout dans le monde. Il serait même le texte le plus traduit et le plus diffusé après la Bible ! Assertion vraie ou fausse, sa notoriété internationale est incontestable et ses 23 pages (dans l'édition originale) ont été beaucoup lues et beaucoup discutées.

Mais quel est encore l'intérêt d'un écrit vieux de 170 ans ? Certes, notre monde n'est plus celui de Marx et d'Engels ; il n'a cessé d'évoluer. Il reste toutefois un monde intolérable dominé par le capital qui doit être radicalement transformé.

 

Marx dans imprimerie.jpg

 

La lutte des classes comme moteur du développement des sociétés et des combats politiques qui en découlent, la nécessité d'abolir la «propriété bourgeoise», l'internationalisme, l'ambition révolutionnaire, la dialectique de «l'émancipation individuelle» et de «l'émancipation collective», ne sont pas des perspectives obsolètes renvoyant à un passé définitivement révolu !

Le Manifeste, qui a gardé toute sa tonicité et une forte cohésion, demeure un outil de réflexion et de proposition pertinent, un point d'appui utile dans nos confrontations avec le système de la production marchande généralisée.

Bien sûr, le Manifeste -qui ne synthétise pas toutes les conceptions de Marx et Engels- n'est pas un texte sacré pour dévots ; il se réfère à des événements aujourd'hui oubliés, il évoque des noms méconnus depuis longtemps et il a recours à un vocabulaire propre au XIXème siècle ; il ne peut donc répondre à toutes les interrogations contemporaines.

Mais celles et ceux qui refusent de se soumettre au désordre capitaliste persistant et qui continuent à oeuvrer pour l'émancipation humaine auraient tort d'ignorer ce document décisif dans l'histoire du mouvement social.

Il faudra toujours le lire et le relire pour stimuler l'indispensable réflexion sur le pourquoi et le comment des luttes de notre temps...

 

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[1] Préface à l'édition allemande de 1872.

 

 

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21 janvier 2018

A (re)voir, à (ré)écouter...

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19 janvier 2018

Marx, vous avez dit Karl... (2)

 

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En cinq ans, il était passé de la philosophie contemporaine à la philosophie militante, de la philosophie au communisme, et du rêve à l'action. Philosophe humaniste agissant : tel est bien la définition qu'on peut donner de Karl Marx autour de la trentième année.

 

Luc Somerhausen, 1946

 

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La théorie de Marx est une «critique» dans la mesure où chacun de ses concepts condamne l'ordre existant dans sa totalité.

 

Herbert Marcuse, 1954

 

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Il est peu de personnalités dans l'histoire universelle chez qui l'évolution individuelle se conjugue de façon aussi intime avec celle de l'ensemble de la société.

 

Georg Lukacs, 1955

 

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mandel 1.jpgIl est impossible de dissocier chez Marx le sociologue du révolutionnaire, l'historien de l'économiste. Mais il n'a pu être efficacement, c'est-à-dire scientifiquement, sociologue, historien et surtout révolutionnaire que parce qu'il a été économiste, que parce qu'il a bouleversé la science économique...

 

Ernest Mandel, 1967

 

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Marx savait parler un langage simple, clair et direct mais en même temps il ne faisait aucune concession sur le contenu scientifique de ses théories. Il estimait que les ouvriers avaient droit à la science, et qu'ils pouvaient parfaitement surmonter les difficultés propres à tout exposé vraiment scientifique. Cette règle d'or est et reste plus que jamais une leçon pour nous.

 

Louis Althusser, 1969

 

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Le marxisme est l'ensemble des contresens qui ont été fait sur Marx.

 

Michel Henry, 1976

 

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Je ne me sens pas une obligation de fidélité à Marx, mais quand vous regardez les analyses concrètes que fait Marx à propos de 1848, de Louis Napoléon, de la Commune, dans les textes historiques plus que dans les textes théoriques, je crois qu'il replace bien les analyses de pouvoir à l'intérieur de quelque chose qui est fondamentalement la lutte des classes, et qu'il ne fait pas de la lutte des classes une rivalité pour le pouvoir.

 

Michel Foucault, 1977

 

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lefebvre.jpgL'oeuvre de Marx se situe par rapport à notre époque à peu près comme la physique de Newton par rapport à la physique moderne. Pour arriver à celle-ci, il faut passer par celle-là, prendre ses concepts, les modifier, les compléter, les transporter en leur adjoignant d'autres concepts. Ni fétichiser Marx, ni l'envoyer aux poubelles.

 

Henri Lefebvre, 1983

 

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Commémorer Marx selon son génie, ce serait, d'abord, libérer Marx du marxisme en général et de ses diverses moutures. Non pour laver le père fondateur des pêchés commis par des bâtards irrespectueux, débiles ou malhonnêtes et le retrouver dans son authenticité, mais pour faire cesser un mensonge qui a commencé précisément il y a un siècle et qui empoisonne la vie politique contemporaine. Dans les années qui suivirent la mort de Marx et singulièrement depuis 1889, date de la fondation de la IIè Internationale, s'est imposée une fable, bientôt reprise, amplifiée, réactivée : la fusion entre une conception du monde à caractère scientifique née dans la tête d'un (ou deux) homme(s) : LE marxisme, et une force socio-matérielle, produite par l'histoire et productrice d'histoire : le mouvement ouvrier !

 

François Châtelet, 1983

 

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L'attitude anti-étatique de Marx n'a jamais varié. Entre 1843 et 1883, pendant quarante années de son activité publique, tant théorique que politique, Marx considère la lutte contre l'Etat comme la tâche primordiale du prolétariat et comme la condition première de son émancipation. Marx oppose à l'Etat, organisme parasitaire et oppressif, érigé au dessus de la société, dans l'intérêt de la classe économiquement dominante, une société sans classes et sans Etat, d'où seraient bannis les antagonismes sociaux et qu'il qualifie de socialiste.

 

Victor Fay, 1983

 

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L'activité intellectuelle de Marx, qui fusionna rapidement avec son activité pratique en une union homogène qui devait se perpétuer jusqu'à la fin de sa vie, partit de la nécessité de l'émancipation humaine. Elle était en ce sens un produit des idées de liberté qui firent irruption sous les formes les plus diverses en Europe et en Amérique depuis le siècle des Lumières -ou, plus exactement, depuis la Réforme- à travers la Révolution française et ses héritiers, les démocrates révolutionnaires des années 20 et 30 du XIXè siècle, les jeunes-hégéliens et les premiers groupes socialistes. Elle peut être résumée dans l'exigence de «renverser toutes les conditions au sein desquelles l'homme est un être diminué, asservi, abandonné, méprisé» [Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel]. Tout au long de sa vie, Marx est resté fidèle à cet objectif d'émancipation.

 

Ernest Mandel, 1983

 

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Or la pensée de Marx est tout sauf un système clos. Marx a toujours présenté son oeuvre comme une recherche ouverte, comme une conception du monde, de la nature et de l'homme en transformation continue. La méthode de Marx est «un fil conducteur» -pour reprendre ses termes. C'est un outil d'analyse qui a sans cesse besoin d'être affiné pour comprendre le processus historique dans sa détermination concrète, pour saisir les sociétés dans leur totalité et en découvrir les contradictions, pour expliquer et transformer le monde. La pensée de Marx est essentiellement critique. Critique, du verbe grec krinein, juger. Critique radicale car, pour Marx, critiquer c'est remonter à la racine des choses -et mettre ainsi en lumière comment il est possible de les modifier jusqu'à la racine.

 

Pierre Joye, 1983

 

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liebman.jpegPour dissiper le doute sur l'actualité du marxisme -celui de Marx il s'entend- il n'est que de le lire, de constater le mordant de son écriture, sa netteté, son tranchant. Rien ne vit davantage que cette ironie corrosive, cette vigueur tonifiante dont jaillit toujours la critique et quelquefois une espèce de joie, comme un signe de santé, le torrent de l'intelligence qui ne recule devant aucun obstacle, aucun interdit, aucun tabou. A côté de Marx, le lucide de Tocqueville parait mièvre et compassé, et Hugo, qui écrivit pourtant à la même époque et aborda à sa manière les mêmes thèmes, à côté de Marx, Hugo est simplement illisible. On pourrait multiplier les comparaisons. Marx ou l'éternelle jeunesse.

 

Marcel Liebman, 1983

 

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Pour transformer le monde, Marx n'aura cessé, sa vie durant, de l'interpréter.

 

Jean Mortier, 1983

 

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Marx a montré qu'au départ les hommes produisent leur propre histoire. Nous ne vivons pas en société, nous produisons la société pour vivre et nous devons rendre compte de toutes les productions qui font notre être social. L'essence de l'homme, c'est la totalité des rapports sociaux en devenir. Marx l'a formulé avec sa fameuse thèse sur Feuerbach.

 

Maurice Godelier, 1983

 

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L'attitude vis-à-vis de Marx et de son oeuvre comprend, à mon avis, deux aspects complémentaires. D'un côté, il faut restituer cette oeuvre dans toute son ampleur philosophique, scientifique et critique. D'autre part, il faut se servir de cette pensée comme d'un instrument d'analyse, de recherche, de découverte. Cet instrument ne vaut que si l'on s'en sert : il doit perpétuellement s'affirmer.

 

Henri Lefebvre, 1983

 

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Ni Marx ni Engels ne furent des prolétaires (...) Son évolution vers le communisme n'est donc point déterminée par une expérience immédiatement vécue ou par ses propres conditions d'existence misérables (qui sont postérieures à cette adhésion...). Elle est essentiellement déterminée par le résultat d'un travail intellectuel ou par des motivations morales.

 

Ernest Mandel, 1986

 

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bourdieu.jpgPar définition, la science est faite pour être dépassée. Et Marx a assez revendiqué le titre de savant pour que le seul hommage à lui rendre soit de se servir de ce qu'il a fait et de ce que d'autres ont fait avec ce qu'il avait fait pour dépasser ce qu'il a cru faire.

 

Pierre Bourdieu, 1987

 

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Généralement, il n'abandonne pas ce pour quoi il s'était passionné : Marx n'est pas l'homme des reniements. La pensée de la liberté est la constante profonde de toute son oeuvre et de toute son action. S'il pense une liberté qui ne se ramène pas purement et simplement à la compréhension de la nécessité, sa pensée est nécessairement une pensée du possible.

 

Michel Vadée, 1992

 

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Pas sans Marx, pas d'avenir sans Marx. Sans la mémoire et sans l'héritage de Marx, de son génie, de l'un au moins de ses esprits. Car ce sera notre hypothèse ou plutôt notre parti pris : il y en a plus d'un et il doit y en avoir plus d'un.

 

 

 

Jacques Derrida, 1993

 

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Marx a assumé son rôle d'intellectuel sans partager les ambitions et les prébendes de l'intelligentsia, mais sans non plus singer la condition ouvrière. Le véritable engagement pour Marx n'était pas politique au sens de l'adhésion à un parti «compris dans le sens essentiellement éphémère», mais révolutionnaire, par appartenance au «parti au sens éminemment historique».

 

Louis Janover, 1994

 

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rubel.jpgLa carrière de Marx se présente comme la quête tourmentée d'une harmonie existentielle entre l'action politique et la création théorique. L'inachèvement de la théorie est en quelque sorte la rançon des échecs politiques du mouvement ouvrier auquel Marx a tenu à s'identifier . Restée un «torse», l'oeuvre scientifique n'en continue pas moins à être présente et entière comme appel révolutionnaire lancé à l'humanité en péril de mort.

 

Maximilien Rubel, 1994

 

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Faisant le bilan de son rapport à Hegel dans ses textes de jeunesse, Marx utilise sans hésitation l'expression d' «impératif catégorique», par laquelle Kant désignait la source de l'action morale. Chez Marx il s'agit de l'impératif de supprimer toutes les conditions dans lesquelles l'homme est un être humilié, asservi, abandonné et méprisable. Cette préoccupation éthique traverse toute l'oeuvre jusqu'au Capital.

 

Maximilien Rubel, 1995

 

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Marx a été avant tout un analyste et un théoricien de la société capitaliste. Il s'est gardé de toute spéculation concernant l'avenir.

 

Jacques Bidet, 1995

 

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Marx nous a offert un authentique principe d'intelligibilité du social en désignant l'infrastructure matérielle comme fondement caché de la société.

 

Robert Fossaert, 1997

 

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Tout le projet de Marx a consisté à débusquer, derrière la trompeuse apparence, les rapports sociaux fondamentaux. Dans le capitalisme, seul le travail est source et mesure de la valeur, et le profit se forme comme un surplus.

 

Michel Husson, 2002

 

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Marx-Engels n'étaient pas hostiles à la démocratie représentative en tant que telle, mais soucieux de multiplier les instances de décision à tous les niveaux de la vie sociale, particulièrement à la base.

 

Jacques Texier, 2002

 

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L'actualité de Marx, c'est celle du capital lui-même. Car, s'il fut un formidable penseurbensa.jpg de son époque, s'il a pensé avec son temps, il a aussi pensé contre et au-delà de son temps, de manière intempestive. Son corps-à-corps, théorique et pratique, avec son ennemi irréductible, la puissance impersonnelle du capital, le porte jusqu'à notre présent. Son actualité d'hier fait son actualité d'aujourd'hui.

 

 

 

Daniel Bensaid, 2009

 

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pena-ruiz.jpgKarl Marx n'a jamais confondu la fermeté sur les exigences de lucidité et les principes de l'émancipation avec un quelconque sectarisme doctrinal. Quant à son projet politique, fondé sur l'humanisme et la solidarité à l'égard des exploités, il fut toujours celui d'une émancipation multiforme des individus et des peuples. Il n'avait pas d'autre horizon que celui d'une société affranchie des conflits de classe et réconciliée de ce fait avec elle-même. La classe ouvrière, écrivait Marx, est une classe universelle : à travers sa propre émancipation, elle permet l'émancipation de tous. Le dominé n'aspire pas à prendre la place du dominant, mais à éradiquer cette domination. Comme le chante l'hymne de Pottier et Degeyter, «l'Internationale sera le genre humain».

 

Henri Pena-Ruiz, 2012

 

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Trois grands thèmes centraux développés par Marx restent valides. Le premier est l'analyse des classes comme outil central de compréhension des sociétés. Le deuxième est la critique du capitalisme comme forme spécifique de société de classes. Le troisième est la possibilité de voir émerger une alternative d'émancipation de la société capitaliste.

 

Erik Olin Wright, 2017

 

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Ce qui est pertinent dans son oeuvre aujourd'hui, c'est sa façon d'analyser les formesdardot.jpeg que prend la lutte sociale. Son idée est que la lutte transforme les conditions de la lutte en même temps que les acteurs de cette lutte. L'émancipation, pense-t-il, ne vient pas après la lutte, ce n'est pas pour le lendemain, ce n'est pas seulement un «but». Contrairement à beaucoup de marxistes pour qui les classes préexistent à la lutte, Marx pense que les classes se constituent de et par la lutte, à travers la lutte. C'est de la lutte que les acteurs s'émancipent.

 

Pierre Dardot, 2017

 

 

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Isabelle_Garo.jpgUne pensée en révolution permanente.

 

Isabelle Garo, 2017

 



 

 

 

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18 janvier 2018

Marx, vous avez dit Karl... (1)

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Ce ne serait pas un mal, mon cher Karl, si tu voulais bien écrire un peu plus lisiblement.

 

Heinrich Marx, 1837

 

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Tu me connais, mon cher Karl, je ne me suis ni entêté ni prisonnier de préjugés. Que tu orientes ta carrière vers telle ou telle matière, cela m'est au fond égal. La seule chose qui me tienne naturellement à coeur, par amour de toi, c'est que tu choisisses ce qui correspond le mieux aux dispositions de ton esprit.

 

Heinrich Marx, 1837

 

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jenny.jpegAh, mon amour, mon amour adoré, voilà que tu te mêles à présent de politique. C'est bien ce qui peut te faire rompre le cou, mon Karl, songe seulement que tu as quelqu'un qui t'aime ici, qui espère et se lamente, et qui dépend entièrement de ton destin.

 

Jenny von Wesphalen, 1841

 

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Bien que révolutionnaire en diable le Dr Marx est un des esprits les plus pénétrants que je connaisse.

 

Georges Jung, 1841

 

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Marx est de nouveau ici. Dernièrement j'ai fait une excursion avec lui pour jouir une fois encore de beaux paysages. Ce fut un délicieux voyage. Nous étions comme d'habitude très gais. A Godesberg nous louâmes deux ânes et galopâmes à fond de train autour de la montagne et à travers le village. Les bourgeois de Bonn qui se trouvaient là nous regardaient avec un air plus scandalisé que jamais. Nous poussions des cris de joie, tandis que les ânes répondaient par des braiments.

 

Bruno Bauer, 1842

 

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C'est un phénomène qui m'a fait une impression énorme. En bref, vous pouvez vous moses_hess.jpgattendre à rencontrer le plus grand -peut être le seul authentique philosophe de l'actuelle génération (...). Le Dr Marx (tel est le nom de mon idole) est encore un très jeune homme de 24 ans. Il portera à la religion et à la philosophie médiévale leur coup de grâce. Il allie le plus profond sérieux philosophique avec l'esprit le plus mordant. Imagine-toi Rousseau, Voltaire, Holbach, Lessing, Heine et Hegel réunis en une seule et même personne -je dis bien réunis et non juxtaposés- et tu as le Dr Marx.

 

Moses Hess, 1842

 

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Souvent il est ivre, souvent il flâne toute la journée. Mais quand il a un travail à faire, il y passe le jour et la nuit. Il n'a pas d'heure fixe, pour dormir et se lever, souvent il reste debout toute la nuit et, à midi, il s'étend sur un sofa, tout habillé, et dort jusqu'au soir, indifférent aux allées et venues autour de lui. Sa femme, cultivée et charmante, s'est habituée à cette vie de bohème et semble s'être faite à cette misère. Ses enfants sont très beaux, avec les yeux intelligents de leur père. Comme mari et comme père, Marx, en dépit de son caractère sauvage, est le plus tendre et le plus docile des hommes.

 

Wilhelm Stieber, 1850

 

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bakounine.jpgMarx était beaucoup plus avancé que je ne l'étais, comme il reste encore aujourd'hui non pas plus avancé, mais incomparablement plus savant que moi. Je ne savais alors rien de l'économie politique, je ne m'étais pas encore défait des abstractions métaphysiques, et mon socialisme n'était que d'instinct. Lui, quoique plus jeune que moi, était déjà un athée, un matérialiste savant et un socialiste réfléchi. Ce fut précisément à cette époque qu'il élabora les premiers fondements de son système actuel. Nous nous vîmes assez souvent car je le respectais beaucoup pour sa science et pour son dévouement passionné et sérieux, quoique toujours mêlé de vanité personnelle, à la cause du prolétariat, et je cherchais avec avidité sa conversation toujours instructive et spirituelle lorsqu'elle ne s'inspirait pas de haine mesquine, ce qui arrivait hélas trop souvent. Jamais pourtant il n'y eut d'intimité franche entre nous. Nos tempéraments ne se supportaient pas.

 

Michel Bakounine, 1871

 

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Cher Monsieur, je vous remercie de l'honneur que vous m'avez fait en m'envoyant votre grand oeuvre sur le capital ; et je voudrais de tout coeur être plus digne de le recevoir en comprenant davantage l'importante et profonde question de l'économie politique. Bien que nos recherches aient été si différentes, je crois que nous désirons tous deux sérieusement l'extension du savoir et que c'est à coup sûr cela qui accroîtra à long terme le bonheur de l'humanité.

 

Charles Darwin, 1873

 

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Friedrich_Engels.jpgMarx était avant tout un révolutionnaire. Contribuer d'une façon ou d'une autre, au renversement de la société capitaliste et des institutions d'Etat qu'elle a créées, collaborer à l'affranchissement du prolétariat moderne auquel il avait donné le premier la conscience de sa propre situation et de ses besoins, la conscience des conditions de son émancipation, telle était sa véritable vocation. La lutte était son élément.

 

Friedrich Engels, 1883

 

*****

 

Karl Marx est une des rares personnalités qui furent à même d'occuper une place de premier plan à la fois dans les sciences et dans l'activité publique ; ils les liait de façon si intime qu'il est impossible de bien le comprendre si on sépare le savant du lutteur socialiste.

 

(...)

 

A part les poètes et les romanciers, Marx avait un moyen original de se distraire : les mathématiques, pour lesquelles il avait une prédilection toute particulière. L'algèbre lui apportait même un inconfort moral ; elle le soutenait aux moments les plus douloureux de son existence mouvementée.

 

(...)

 

Marx ne permettait à personne de mettre de l'ordre, ou plutôt du désordre dans ses livres et ses papiers. Car leur désordre n'était qu'apparent, en réalité tout était à sa place.

 

Paul Lafargue, 1890

 

*****

 

Le style de Marx, c'est Marx lui-même. On lui a reproché d'avoir voulu enfermer le maximum de sens dans un minimum de mots ; or c'est précisément ce qui distingue Marx.

 

Wilhelm Liebknecht, 1896

 

*****

 

Son langage était bref, suivi d'une logique implacable ; il ne disait jamais des choses inutiles. Chaque phrase contenait une pensée, formant un maillon nécessaire dans la chaîne des arguments. Marx n'avait rien d'un rêveur.

 

Friedrich Lessner, 1898

 

*****

 

jaurès1.jpgC'est le mérite décisif de Marx, le seul peut-être qui résiste pleinement à l'épreuve de la critique et aux atteintes profondes du temps, d'avoir rapproché et confondu l'idée socialiste et le mouvement ouvrier.

 

Jean Jaurès, 1901

 

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La profondeur de la pensée de Marx ne tient pas seulement à son génie mais au fait qu'il éclaire sans cesse toutes les questions qu'il traite à partir des perspectives historiques les plus vastes et en montrant les connexions dialectiques.

 

Rosa Luxemburg, 1902

 

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A la fois militant et penseur, il n'a pas seulement organisé et formé les premiers cadres de l'armée internationale des ouvriers : en collaboration avec son fidèle ami Friedrich Engels, il a forgé pour elle l'arme intellectuelle qui lui a permis d'infliger à l'adversaire une multitude de défaites, et qui le temps aidant, lui donnera la victoire totale. Si le socialisme est devenu une science, nous le devons à Karl Marx.

 

Georges Plekhanov, 1903

 

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Kautsky.jpgMarx fut le premier qui insista sur le rôle important des syndicats dans la lutte des classes du prolétariat et cela dès 1846 (...) Tandis qu'il travaillait au Capital (...), il prévoyait déjà la société par actions et les cartels modernes. Pendant la guerre de 1870-1871, il présageait que la prépondérance dans le mouvement socialiste allait désormais passer de la France à l'Allemagne. En janvier 1873, il prédisait la crise qui commença peu de mois après. On peut en dire autant d'Engels. Même lorsqu'ils se trompaient, leur erreur recelait quelque idée juste et profonde.

 

Karl Kautsky, 1909

 

*****

 

Marx a continué et parachevé les trois principaux courants d'idées du XIXème siècle, qui appartiennent aux trois pays les plus avancés de l'humanité : la philosophie classique allemande, l'économie politique classique anglaise et le socialisme français, lié aux doctrines révolutionnaires françaises en général.

 

Lénine, 1914

 

*****

 

Marx a été grand, son action a été féconde, non point tant parce qu'il a inventé à partir de rien, non point tant parce qu'il a tiré de son imagination une vision originale de l'histoire, mais bien parce que le fragmentaire, l'inachevé, tout ce qui n'était pas encore mûr, est devenu chez lui maturité, système, prise de conscience. Sa prise de Antonio.jpgconscience personnelle peut devenir celle de tout le monde, elle est déjà devenue celle de beaucoup ; voilà pourquoi ce n'est pas seulement un penseur mais un homme d'action ; il est aussi grand dans l'action que dans la pensée, ses livres ont transformé le monde comme ils ont transformé la pensée. Marx, c'est l'entrée de l'intelligence dans l'histoire de l'humanité, c'est l'avènement de la conscience.

 

Antonio Gramsci, 1918

 

*****

 

Ce qui fait sans conteste l'incomparable grandeur de Marx, c'est qu'en lui le penseur et l'homme d'action étaient indissolublement liés, qu'ils se complétaient et se renforçaient mutuellement. Mais il n'en est pas moins certain que le militant, chez lui, a toujours pris le pas sur le penseur.

 

Franz Mehring, 1918

 

*****

 

Marx et Engels furent des révolutionnaires jusque dans la moelle des os.

 

Léon Trotsky, 1929

 

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Trotsky-191x300.jpgL'erreur de Marx-Engels quant aux délais historiques découlait d'une part de la sous-estimation des possibilités inhérentes au capitalisme, et d'autre part de la sur-estimation de la maturité révolutionnaire du prolétariat.

 

Léon Trotsky, 1937

 

*****

 

Secondaire aussi de constater que certaines prévisions de Marx et d'Engels n'ont pas été confirmées par l'histoire et que par contre bien des faits se sont produits qu'ils n'avaient pas prévus...Marx et Engels furent trop grands -trop intelligents- pour se croire infaillibles et prétendre au prophétisme.Il est vrai -mais il n'importe- que leurs continuateurs n'ont pas toujours été à la hauteur de leurs sagesse.

 

Victor Serge, 1938

 

*****

 

La théorie et la pratique révolutionnaires ont donc formé de tout temps chez Marx une totalité indivisible, et c'est cette totalité qui constitue aujourd'hui l'élément vivant dans ce que Marx nous a légué.

 

Karl Korsh, 1938

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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03 janvier 2018

2018, année du bicentenaire de la naissance de Marx

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Karl Marx ! Huit lettres qui claquent tel un étendard dans la tempête. Un prénom et un nom qui ont échappé depuis longtemps à l'homme qui les a portés au coeur du bouillonnant XIXème siècle, dans son Allemagne natale comme dans ses pays d'exil : la France, la Belgique et finalement l'Angleterre, après de nouveaux passages dans la capitale française, au moment des ébranlements révolutionnaires et contre-révolutionnaires de 1848-1849, en Europe.

marx j.jpgUne personnalité historique incontournable dont il sera à nouveau beaucoup question dans les prochains mois car, le 5 mai 2018, il y aura exactement 200 ans que Marx vit le jour à Trèves (en Rhénanie).

On a évidemment déjà amplement disserté et discouru sur Marx tout au long du XXème siècle jusqu'à nos jours. De manière dithyrambique pour les uns, tandis que les autres s'efforçaient de le disqualifier par tous les moyens, n'hésitant pas à lui imputer une responsabilité dans l'émergence des régimes «totalitaires» le siècle dernier, et pour les crimes perpétrés dans les «pays du socialisme réellement existant» ! Une querelle absurde concernant un homme décédé en 1883, 34 ans avant la première «révolution communiste», celle d'Octobre 1917 en Russie ! Et une polémique qui ne risque pas de s'éteindre puisqu'elle permet d'accréditer l'idée qu'il ne peut exister d'alternative démocratique au capitalisme.

Certes, cet anniversaire n'influencera pas la folle trajectoire d'une humanité engagée dans une voie sans issue, celle de l'accumulation illimitée du capital et de la marchandisation généralisée du monde, celle d'un productivisme et d'un consumérisme irrationnels, destructeurs des ressources vitales de la planète. Mais si notre futur est compromis, il reste toujours de notre ressort d'inverser la marche du capitalisme financier globalisé vers le désastre !

L'avenir n'est donc pas définitivement hypothéqué. Mais pas sans l'oeuvre de Marx qui conserve une réelle pertinence pour comprendre les contradictions de notre société dans la perspective de la changer, radicalement. Même si elle ne fournit pas de recettes ou de réponses définitives pour résoudre nos problèmes actuels et pour relever les défis de notre époque. Inutile de chercher dans ses textes la moindre appréciation sur le «réchauffement climatique» ni la moindre considération sur la «révolution numérique»...

De quel Marx s'agit-il ?

D'abord, d'un Marx débarrassé du «marxisme» ! Lui, n'a jamais prétendu être le propagateur d'un nouvel évangile, le communisme. Lui, n'a jamais revendiqué la paternité d'une «doctrine», par essence fermée à toutes les interrogations critiques. Et jamais on ne trouvera sous sa plume les termes onomastiques qui furent d'abord utilisés par ses adversaires politiques ! [1] Il est, par ailleurs, devenu difficile d'encore se réclamer d'un «marxisme» au singulier tant les interprétations des écrits de Marx ont été multiples et tant les courants politiques «de gauche» qui s'en réclament ont proliféré au cours d'une histoire particulièrement agitée des «mouvements ouvriers» de tous les pays. A l'évidence, il existe aujourd'hui presque autant de «marxismes» qu'il existe de «marxistes» ! Et cette situation n'a pas peu contribué à rendre parfois illisible les apports décisifs du théoricien allemand (et de son ami Friedrich Engels).

 

Marx dans imprimerie.jpg

 

Ensuite, d'un Marx qui n'est pas réduit à un penseur en chambre, distant du bruit et de la fureur du monde. Marx était avant tout un militant révolutionnaire ! Il considérait que son travail théorique devait être mis au service de la lutte de la classe ouvrière. Marx n'écrivait pas pour être publié dans la Bibliothèque de la Pléiade ! Il n'a pas consacré de nombreuses années de son existence pour accoucher de son opus magnum, Das Kapital, dans le but de laisser une oeuvre majeure destinée à être étudiée dans les universités du futur, aux côtés de celles de Platon, Aristote, Spinoza, Kant ou Pascal !  Non, Marx était profondément impliqué dans les combats de son temps. Du libéralisme de gauche au communisme, de la «gauche hégélienne» à la Ligue des Communistes, de la «Société universelle des communistes révolutionnaires» à 9782253014911-fr.jpgl'Association Internationale des Travailleurs, de la révolution de 1848 à la Commune de Paris, Marx (et Engels) s'est (se sont) engagé(s) durant plus de 40 ans pour essayer de commencer à changer le monde. Concrètement. Car Marx refusait de «faire bouillir les marmites de l'histoire» et il n'épousait pas la démarche d' «utopistes» s'acharnant à dessiner les contours d'une société future idéale.

En 2018, l'actualité de Marx reste l'actualité persistante de la domination du capital et des luttes multiformes contre cette domination.

Oui, le capitalisme a évolué au cours de ces deux siècles, notamment sous la pression des batailles menées par les salariés, qui leur ont permis d'arracher d'importantes conquêtes sociales et politiques. Oui, il est devenu de plus en plus complexe, et oui il a perfectionné ses méthodes pour consolider son hégémonie idéologique et assurer sa pérennité. Mais il n'est pas parvenu à surmonter ses contradictions et ses turbulences, il n'a pas abandonné ses caractéristiques essentielles :

 

  • Le capitalisme demeure un système de production marchande généralisée.

  • Le capitalisme demeure un système reposant sur la propriété privée des principaux moyens de production. Les grandes structures économiques n'appartiennent pas à la collectivité et ne sont pas contrôlées par le plus grand nombre. Elles sont toujours concentrées dans les mains d'une minorité de possédants. Corollaire : la persistance de la «séparation des producteurs d'avec les moyens de production».

  • Le capitalisme demeure un système qui a pour seul «mobile social» l'argent. La course aux profits, la priorité à la rentabilité financière, la rémunération maximale du capital, constituent des dogmes intangibles. Au prix du maintien de l'étau de l'exploitation et du renouvellement de mécanismes alimentant de gigantesques inégalités.

  • Le capitalisme demeure un système obsédé par la compétitivité où la concurrence reste l'alpha et l'omega de son développement. Ainsi encouragée, la lutte de tous contre tous favorise les comportements égoïstes au détriment de la solidarité et des coopérations entre êtres humains.

  • Le capitalisme demeure un système où rien n'est jamais acquis définitivement et où toutes les conquêtes historiques peuvent être remises en cause à n'importe quel moment, en fonction d'une conjoncture et de rapports de force donnés.

 

marx oeil.jpgC'est dire si les travaux de Marx, ses intuitions et ses recommandations, représentent encore maintenant un point d'appui et des éléments de réflexion utiles dans la difficile recherche de solutions de rechange au désordre du capital. Et plus que jamais, sa méthode d'analyse des rapports sociaux constitue un fil conducteur précieux pour celles et ceux qui s'emploient à bouleverser un statu quo mortifère.

L'héritage de Marx, c'est l'héritage d'une pensée critique et révolutionnaire, pleine de vitalité, mobilisée pour transformer la société, rompre avec la domination bourgeoise, et ouvrir le chemin à l'abolition du salariat et à l'émancipation humaine.

Un vaste chantier toujours ouvert 200 ans après sa naissance.

 

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[1] Voir à ce sujet le remarquable article écrit en 1978 par George Haupt, «Marx et le marxisme», repris dans George Haupt, L'historien et le mouvement social, Maspéro, Paris, 1980, pages 77-107

 

 

 

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08 novembre 2017

100 années de controverses (II)

 

Comme attendu, la commémoration du centenaire de la Révolution d'Octobre 1917 entraîne la multiplication de publications de toute nature : rééditions, livres inédits, numéros spéciaux de revues. Ainsi que la programmation de nombreux documentaires et émissions de télévision, disponibles ensuite sur le net. L'occasion de se rappeler que cet événement majeur a fait couler beaucoup d'encre depuis un siècle, et suscité d'âpres débats et de virulentes polémiques. Rapide survol avec des extraits choisis. En toute subjectivité bien entendu...

 

train armée rouge reds.jpg

 

Les chefs du bolchevisme des grandes années n’ont manqué ni de savoir ni d’intelligence, ni d’énergie : ils ont manqué d’audace révolutionnaire toutes les fois qu’il eût fallu chercher (après 1918) des solutions dans la liberté des masses et non dans la contrainte gouvernementale. Ils ont systématiquement bâti non l’Etat-Commune qu’ils avaient annoncé, mais un Etat fort, au sens vieux du mot, fort de sa police, de sa censure, de ses monopoles, de ses bureaux tout-puissants.

Victor Serge, 1938



Il ne faut pas commettre l'erreur de croire que l'évolution russe dépendait uniquement de la présence de tel ou tel individu, de la vilenie ou de la noblesse (selon le point de vue de chacun) de Staline, par exemple. Si Lénine avait vécu, les choses n'auraient sans doute pas été très différentes.

James Burnham, 1940



Dans deux domaines capitaux, le léninisme aboutit en effet à un échec. Il n'a pas réussi à répondre aux nombreuses interrogations que pose la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière en système capitaliste avancé. Il n'est pas davantage parvenu à poser correctement les problèmes de construction d'une société prolétarienne. En particulier : une fois passée la période des grandes conquêtes révolutionnaires, Lénine a gravement sous-estimé l'importance de la démocratie ouvrière : il n'a pas compris à quel point était indispensable une opposition soumettant le pouvoir, quel qu'il soit, à une vigilante et incessante critique.

Marcel Liebman, 1976



Finalement, le développement du mouvement de masse en RDA et en Tchécoslovaquie, et la croissance réelle, bien que plus lente, du mouvement de masse en URSS et dans plusieurs autres pays d'Europe de l'Est pourraient déboucher dans les années à venir sur la victoire de la révolution politique. Réalisée sur une base matérielle et culturelle beaucoup plus élevée que celle de la Russie de 1917, ou de l'Europe de l'Est de 1945, sans parler de la Chine de 1949, elle confronterait rapidement les masses laborieuses du monde avec un modèle de société plus libre, plus juste et plus égalitaire que le capitalisme le plus développé.

mandel 1.jpgLa crise de crédibilité du projet socialiste serait ainsi définitivement surmontée. C'est ainsi qu'apparaît la nature contradictoire de cette crise de crédibilité. Elle résulte de la banqueroute irrémédiable du stalinisme et du post-stalinisme, de toute tentative d'imposer aux masses des projets politiques sans leur libre consentement majoritaire. Mais elle débouche non seulement sur le rejet résolu de tout "verticalisme", elle intègre aussi une dimension anti-bureaucratique puissante et durable à la conscience de classe élémentaire d'une grande majorité du prolétariat. Ce rejet de la manipulation bureaucratique libère et libérera des forces colossales, qui peuvent se réorienter vers une action émancipatrice contestant la société bourgeoise dans son ensemble.

Tout ce processus contradictoire traduit historiquement la capacité auto-critique et auto-rectificatrice des révolutions prolétariennes, que Marx avait déjà soulignée dans le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte. Il assure, lui aussi, l'avenir du communisme. Mieux, il implique la possibilité, voire la probabilité de la victoire.

Mais, à une condition: que les communistes/socialistes révolutionnaires se dégagent définitivement de toute théorie et de toute pratique substitutionniste, paternaliste, autoritaire à l'égard du mouvement d'émancipation des salariés, sans pour autant retomber dans le spontanéisme.

Ernest Mandel, 1989



Si le stalinisme n’était, comme certains le soutiennent ou le concèdent, qu’une simple «déviation» ou «un prolongement tragique» du projet communiste, il faudrait en tirer les conclusions les plus radicales quant au projet lui-même.

C’est bien d’ailleurs ce que visent les promoteurs du Livre noir. On pourrait s’étonner en effet du ton de guerre froide, passablement anachronique, de Stéphane Courtois et de certains articles de presse. Alors que le capitalisme, pudiquement rebaptisé «démocratie de marché», se proclame volontiers sans alternative après la désintégration de l’Union soviétique, vainqueur absolu de la fin de siècle, cet acharnement révèle en réalité une grande peur refoulée : la crainte de voir les plaies et les vices du système d’autant plus criants qu’il a perdu, avec son double bureaucratique, son meilleur alibi. Il importe donc de procéder à la diabolisation préventive de tout ce qui pourrait laisser entrevoir un autre avenir possible.

C’est en effet au moment où sa contrefaçon stalinienne disparaît dans la débâcle, où s’achève sa confiscation bureaucratique, que le spectre du communisme peut à nouveau revenir hanter le monde.

Combien d’anciens staliniens zélés, faute d’avoir su distinguer stalinisme et communisme, ont-ils cessé d’être communistes en cessant d’être staliniens, pour rallier la cause libérale avec la ferveur des convertis ? Stalinisme et communisme ne sont pas seulement distincts, mais irréductiblement antagoniques. Et le rappel de cette bensaid.jpgdifférence n’est pas le moindre devoir que nous ayons envers les nombreuses victimes communistes du stalinisme.

Le stalinisme n’est pas une variante du communisme, mais le nom propre de la contre-révolution bureaucratique. Que des militants sincères, tout à l’urgence de la lutte contre le nazisme, ou se débattant dans les conséquences de la crise mondiale de l’entre-deux-guerres, n’en aient pas pris immédiatement conscience, qu’ils aient continué à offrir généreusement leurs «existences déchirées», ne change rien à l’affaire.

Daniel Bensaid, 1997



Quand on examine l'histoire de la révolution d'Octobre, il faut se garder d'oublier qu'elle a eu des adversaires révolutionnaires qui avaient une base et une légitimité. Une base, car au cours de l'année 1918, lorsque se multiplièrent les réquisitions forcées et que s'instaura la terreur bolchévique, un nouveau basculement se produisit dans l'opinion et un nombre croissant de soviets élirent des majorités menchéviques et SR. Qu'a fait alors le pouvoir bolchévik ? Il a dissout ces soviets ou les a empêché de siéger. Dès 1918 donc, la pratique du pouvoir soviétique et du parti unique se mit en place, en éliminant y compris ceux qui étaient prêts à former une opposition constructive. Dans ce sens, le bolchévisme a toujours tourné le dos au mouvement d'auto-émancipation des masses populaires, quand il ne pouvait pas l'instrumentaliser.

Claudie Weil, 1997



Si le spectre communiste avait eu raison des puissances du capital au terme d'une guerre civile particulièrement meurtrière, une apparition effrayante, sorte d'image inversée, reflet négatif déformé, était née de ce combat. Le communisme était hanté à son tour par un spectre, celui d'une bureaucratie qui le parasitait progressivement. Le communisme de guerre avait eu raison de la guerre, mais peut être aussi du communisme.

Olivier Besancenot, 2017



La NEP était absolument justifiée par la nécessité de remettre l’industrie en marche, y compris avec des investissements étrangers, et de relancer la production agricole en en redonnant la maîtrise à une paysannerie payant l’impôt. Mais la meilleure protection contre les dérives ultérieures de cette NEP (l’enrichissement rapide de certains koulaks, paysans moyens et commerçants) résidait sans doute dans un régime réactivé d’ouverture politique parallèlement à cette ouverture économique. Une NEP politique pour tous les partisans de la révolution, après la victoire sur la contre-révolution interne et externe. Cela aurait stimulé une renaissance de la vie politique, soviétique, syndicale, associative qui aurait trouvé dans la renaissance de ses droits une motivation pour accompagner la réactivation de l’économie et du pays.

Mais c’est le contraire qui fut mis en œuvre. D’abord, par la terrible répression contre les marins et les ouvriers de Kronstadt. Quels que soient les dangers que ces derniers faisaient courir à la révolution en s’insurgeant, la violence de cette répression était injustifiable. Ensuite, par un «processus de répression moléculaire» qui s’étend dans le pays comme le rapporte Boris Souvarine. Enfin par les décisions du Xe congrès bolchévique qui vont étouffer la discussion politique dans le parti et dans le pays. L’interdiction des tendances et fractions au sein du Parti devenu communiste répondait sans doute à la crainte d’un déchirement ou d’une explosion après les crises qui l’avaient traversé. Le remède fut évidemment pire que le mal. De plus, il entérina, hors du Parti et pour toute la société, le monolithisme d’un Parti unique encadré par ces mesures disciplinaires.

A la fin des années vingt, quand Staline et sa bureaucratie nourrie de ces «règles» mettront le Parti en coupe réglée, ils n’auront pas à aller chercher loin pour trouver ces justifications «léninistes», que Lénine mettait en cause à la fin de sa vie et que Trotsky commença trop tard à dénoncer.

Charles Michaloux et François Sabado, 2017



Je voudrais insister sur un point qui aujourd’hui, depuis l’apparent triomphe du capitalisme à l’échelle mondiale, semble oublié : la révolution russe de 1917 est un événement sans précédent dans l’histoire de l’espèce humaine.

Alain Badiou, 2017



Les échecs révolutionnaires accumulés depuis 1917 ont rendu les militants sceptiques. Le mot même de communisme a perdu sa force émancipatrice telle qu’elle avait été forgée dès 1840.

Michèle Riot-Sarcey, 2017



Ce siècle est clos et, s’il est un modèle dont il faut s’abstraire, peut-être est-ce du bolchevisme, quelle qu’ait été sa grandeur. Non pas se débarrasser du communisme, mais de la forme que le XXe siècle lui donna.

Roger Martelli, 2017



 

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07 novembre 2017

Renouveler notre logiciel politique

Ah ! ils nous en ont fait approuver des massacres
Que certains continuent d'appeler des erreurs
Une erreur, c'est facile comme un et deux font quatre
Pour barrer d'un seul trait des années de terreur
Ce socialisme était une caricature
Si les temps ont changé, des ombres sont restées
J'en garde au fond du cœur la sombre meurtrissure
Dans ma bouche, à jamais, la soif de vérité

 

Jean Ferrat, Le bilan

 

 

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Il y a 100 ans, un immense espoir. Une révolution populaire authentique. Les révolutionnaires au pouvoir !

Et puis, déceptions.

Pas de «dictature du prolétariat» mais une dictature sur le prolétariat. Pas de grand bond en avant démocratique, mais l'anesthésie des formes et des organes d'auto-organisation du peuple. Pas d'Assemblée constituante mais l'extinction du pluralisme politique et l'interdiction progressive de toutes les formations, socialistes comprises.

Et aussi, création d'une police politique. Arrestations arbitraires. Procès expéditifs et truqués. Tortures. Disparitions. Exécutions sommaires. Premières déportations vers des camps. Ecrasement de toute opposition. Cronstadt.

Et puis, contrôle total de l'Etat par un parti unique, le Parti communiste. Mise au pas des oppositions internes. Interdiction des tendances et fractions. Monolithisme idéologique.

Certes, des explications existent. Et de taille. Le climat de violence extrême de l'époque. La première guerre mondiale de l'histoire, boucherie d'une ampleur inédite. Une «paix infâme» imposée par l'empire allemand. La guerre civile et l'intervention des puissances impérialistes. La contre-révolution à l'offensive, sur tous les fronts. Le chaos généralisé, dans un pays souffrant déjà de retards économiques. Une classe ouvrière famélique et une immense paysannerie. La «révolution mondiale» qui ne vient pas. L'inexpérience des nouveaux dirigeants.

 

trotsky armée rouge.jpg

 

Mais des explications ne peuvent constituer des justifications.

Les Bolchéviks au pouvoir ont très vite tourné le dos aux idéaux des Bolchéviks dans l'opposition. Les proclamations programmatiques volontaristes ont cédé le pas aux «nécessités de l'urgence », rapidement transformées en un système figé et durable de mesures arbitraires. Une politique dure, coercitive, est mise en oeuvre pour rester aux commandes, coûte que coûte.

Dès lors, la révolution se métamorphose en contraire d'une révolution. Ses accents libertaires s'évaporent. Une bureaucratie tenace se déploie sur tout le territoire.

Se constitue alors le terreau sur lequel va prospérer le «stalinisme». Entre les années trente et les premières années post-révolutionnaires, pas de changement de nature mais un énorme changement d'échelle. Avec un ordre répressif qui frappera finalement des «communistes» eux-mêmes, dont la plupart des grandes figures de 1917 !

Totalitarisme, goulag, nomenklatura tentaculaire, victimes innombrables : tout cela ne contrariera pas, durant des décennies, au sein même des mouvements ouvriers, la ténacité d'innombrables soutiens aveuglés, ne tarissant pas d'éloges sur un prétendu «bilan globalement positif» des pays du «socialisme réellement existant» !

 

affiche staline.jpg

 

Impossible ici d'entrer dans les détails des 74 années tumultueuses qui ont précédé la disparition de l'URSS, issue des «10 jours qui ébranlèrent le monde». Entraînant d'ailleurs dans sa chute le bloc des régimes structurellement assimilés au lendemain de la seconde guerre, qui ne pouvaient décidément exister sans la «protection du Grand Frère» !

Au total donc, un gâchis terrible. Avec de lourdes conséquences pour le mouvement social opposé au capitalisme depuis tant de décennies. Car avec l'échec du «projet émancipateur» au XXème siècle, c'est la perspective de solutions de rechange crédibles à l'oppression et à l'exploitation capitalistes qui a été discréditée. De nos jours, il est devenu bien difficile de se revendiquer positivement du communisme !

Bien sûr, 2017 n'est pas/plus 1917 ! La différence ? Cent ans ! Boutade ? Non ! En un siècle, que de bouleversements gigantesques, avec des avancées sociales et démocratiques indéniables, issues de la lutte des classes.

Mais aussi avec la domination consolidée d'un capitalisme -financiarisé et globalisé- plus arrogant que jamais, l'hégémonie de l'idéologie «néo-libérale», la colonisation de l'imaginaire collectif, la promotion de l'individualisme et de l'affrontement de tous contre tous, le développement du productivisme et d'un consumérisme aliénant, de sombres perspectives pour le devenir de notre espèce, hypothéqué par le dérèglement climatique et la crise sans précédent des écosystèmes !

C'est dire si les enjeux -en terme d'émancipation humaine et de sauvegarde d'un environnement viable- ne sont pas moins grands aujourd'hui que lors de l'Octobre rouge.

En prenant appui sur les enseignements des échecs de toutes les tentatives de transformation sociale et politique tout au long du «court XXème siècle», il importe maintenant de préparer l'avenir en construisant des alternatives «révolutionnaires» adaptées à notre époque et à nos sociétés. Un vaste chantier qui mobilise déjà divers mouvements dans de nombreux pays.

 

bastille cortège.jpg

 

Comme le proclamait la jeunesse, il y a près de 50 ans, lors d'un joli mois de mai : «ce n'est qu'un début, le combat continue».

Une formule toujours d'actualité, et pour un bon bout de temps...

 

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06 novembre 2017

100 années de controverses (I)

Comme attendu, la commémoration du centenaire de la Révolution d'Octobre 1917 entraîne la multiplication de publications de toute nature : rééditions, livres inédits, numéros spéciaux de revues.Ainsi que la programmation de nombreux documentaires  et émissions de télévision, disponibles ensuite sur le net. L'occasion de se rappeler que cet événement majeur a fait couler beaucoup d'encre depuis un siècle, et suscité d'âpres débats et de virulentes polémiques. Rapide survol avec des extraits choisis. En toute subjectivité bien entendu...

 

lénine-Trotsky.jpg

 

Or, la dictature du prolétariat, c'est-à-dire l'organisation de l'avant-garde des opprimés en classe dominante pour mater les oppresseurs, ne peut se borner à un simple élargissement de la démocratie. En même temps qu'un élargissement considérable de la démocratie, devenue pour la première fois démocratie pour les pauvres, démocratie pour le peuple et non pour les riches, la dictature du prolétariat apporte une série de restrictions à la liberté pour les oppresseurs, les exploiteurs, les capitalistes. Ceux-là, nous devons les mater afin de libérer l'humanité de l'esclavage salarié; il faut briser leur résistance par la force ; et il est évident que, là où il y a répression, il y a violence, il n'y a pas de liberté, il n'y a pas de démocratie.

Lénine, 1917

 

En tant que parti politique, nous ne pouvons pas être tenus pour responsables du cours de l'histoire. Mais nous n'en sommes que plus responsables devant notre classe : la rendre capable de mener à bien sa mission à travers toutes les déviations du cheminement historique, voilà notre devoir fondamental.

Léon Trotsky, 1917

 

Révolution permanente ou massacre permanent ! Telle est la lutte dont l'enjeu est le sort de l'humanité !

 

Léon Trotsky, 1917

 

Les magnifiques événements de Russie agissent sur moi comme un élixir de vie. C’est bien pour nous tous un message de salut qui nous vient de là-bas ; je crains que, tous autant que vous êtes, vous ne sachiez pas en apprécier l’importance, et que vous ne sentiez pas assez que c’est notre propre cause qui triomphe là-bas. Ces événements auront, devront nécessairement avoir un effet salvateur sur le monde entier ; il faut que leur rayonnement atteigne l’Europe entière. J’ai la conviction inébranlable qu’une nouvelle époque commence, et que la guerre ne peut plus durer longtemps.

Rosa Luxemburg, 1917

 

La liberté seulement pour les partisans du gouvernement, pour les membres d'un parti, aussi nombreux soient-ils, ce n'est pas la liberté. La liberté, c'est toujours la liberté de celui qui pense autrement. Non pas par fanatisme de la "justice", mais parce que tout ce qu'il y a d'instructif, de salutaire et de purifiant dans la liberté politique tient à cela et perd de son efficacité quand la"liberté" devient un privilège.

Rosa Luxemburg, 1918

 

rosa-lux_0.pngL'erreur fondamentale de la théorie Lénine-Trotsky est précisément que, tout comme Kautsky, ils opposent la démocratie à la dictature. "Dictature ou démocratie", ainsi se pose la question pour les bolcheviks comme pour Kautsky. Ce dernier se prononce bien entendu pour la démocratie, et même pour la démocratie bourgeoise, puisqu'il l'oppose à la transformation socialiste Lénine-Trotsky se prononcent au contraire pour la dictature d'une poignée de personnes, c'est-à-dire pour la dictature selon le modèle bourgeois. Ce sont là deux pôles opposés, tout aussi éloignés l'un et l'autre de la véritable politique socialiste. Le prolétariat, une fois au pouvoir, ne peut, suivant le bon conseil de Kautsky, renoncer à la transformation socialiste sous prétexte que "le pays n'est pas mûr" et se vouer à la seule démocratie, sans se trahir lui-même et sans trahir en même temps l'Internationale et la révolution. Il a le devoir et l'obligation, justement, de se mettre immédiatement, de la façon la plus énergique, la plus inexorable, la plus brutale, à l'application des mesures socialistes, et, par conséquent, d'exercer la dictature, mais une dictature de classe, non celle d'un parti ou d'une clique, dictature de classe, c'est-à-dire avec la publicité la plus large, la participation la plus active, la plus illimitée, des masses populaires, dans une démocratie complète. "En tant que marxistes, nous n'avons jamais été idolâtres de la démocratie formelle", écrit Trotsky. Assurément, nous n'avons jamais été idolâtres de la démocratie formelle. Mais du socialisme et du marxisme non plus, nous n'avons jamais été idolâtres.

Rosa Luxemburg, 1918

 

Toute la tragédie du moment est précisément due à ce que la minorité dirigeante du parti guidée par Lénine n'a rien d'autre à proposer que des paroles.

Nicolas Boukharine, 1918

 

J'ai assisté au Congrès des Soviets, j'ai entendu Trotsky, le grand dictateur visible, car Lénine se montre très rarement. Ce sont ces deux hommes qui mènent tout. Ils reconstruisent un Etat centralisé comme l'ancien régime, mais inspiré d'une âme socialiste.

Pierre Pascal, 1918

 

Quoi qu'on pense du bolchévisme, il est indéniable que la révolution russe est un des grands événements de l'histoire de l'humanité et la venue au pouvoir des Bolchéviks est un fait d'importance mondiale.

John Reed, 1919

 

La révolution française avait proclamé les droits de l'homme, la révolution bolchévique proclame les droits de l'Etat sur l'homme.

Albert Londres, 1920

 

kropotkine.jpegLes Bolchéviks sont les jésuites de l'Eglise socialiste, ils croient en la devise jésuite selon laquelle la fin justifie les moyens.Leur but étant le pouvoir politique, ils ne reculent devant rien. Mais les moyens employés ont brisé l'énergie des masses et terrorisé le peuple. Et sans le peuple, sans la participation directe des masses dans la reconstruction du pays, rien d'essentiel ne peut être accompli. Les Bolchéviks ont été portés au sommet par la puissante vague de la révolution. Une fois au pouvoir, ils se sont retournés contre la vague.

Pierre Kropotkine, 1920

 

Nous avons passé pas mal de temps à discuter et je dois dire que, maintenant, il vaut beaucoup mieux «discuter avec les fusils» qu'avec les thèses préconisées par l'opposition. Il ne faut plus d'opposition, camarades, ce n'est pas le moment ! Ou bien par ici, ou bien par là, avec un fusil et pas avec l'opposition. Cela découle de la situation objective, ne vous en prenez à personne. Camarades, nous n'avons pas besoin d'opposition à présent ! Et je crois que le congrès devra arriver à cette conclusion, il devra conclure que l'opposition à présent est finie et bien finie, nous en avons assez des oppositions !

Lénine, 1921

 

Parler d’un « État ouvrier », c’est une abstraction ! Lorsque nous parlions de l’État ouvrier en 1917, c’était normal ; mais aujourd’hui, lorsque l’on vient nous dire : « Pourquoi défendre la classe ouvrière, et contre qui, puisqu’il n’y a plus de lenine.jpgbourgeoisie, puisque l’État est un État ouvrier », on se trompe manifestement car cet État n’est pas tout à fait ouvrier, voilà le hic… En fait, notre État n’est pas un État ouvrier, mais ouvrier-paysan, c’est une première chose… Notre État est un État ouvrier présentant une déformation bureaucratique. Et c’est cette triste, comment dirais-je, étiquette, que nous avons dû lui apposer. Voilà la transition dans toute sa réalité… Notre État est tel aujourd’hui que le prolétariat totalement organisé doit se défendre, et nous devons utiliser ces organisations ouvrières pour défendre les ouvriers contre leur État et pour que les ouvriers défendent notre État.

Lénine, 1921

 

Il n'est pas vrai que le peuple russe soit en lutte. Au contraire, la vérité à ce sujet, c'est qu'il a été quasiment exproprié et que l'Etat bolchévique -tout comme un propriétaire industriel bourgeois- se sert du sabre et du canon pour le maintenir dans cette condition. Dans le cas bolchévique, leur tyrannie est marquée par une idéologie propre à bouleverser le monde : c'est ainsi qu'ils ont réussi à aveugler les masses. C'est justement parce que je suis une révolutionnaire que je refuse de me ranger aux côtés de la classe dirigeante, qui en Russie s'appelle Parti communiste.

Emma Goldman, 1922

 

Il faut reconnaître que la politique prolétarienne du parti est déterminée actuellement non par ses effectifs mais par l'autorité immense et sans partage de cette couche très mince que l'on peut appeler la vieille garde du parti.

Lénine, 1922

 

Les masses se rendent compte du caractère réactionnaire du régime bolchévique : son régime de terreur et de persécution des non-communistes est condamné. La torture, dans les prisons politiques de la dictature et dans les camps de concentration du Grand Nord et de Sibérie, réveille les consciences des progressistes du monde entier. Dans presque tous les pays, des associations de défense et d'aide aux prisonniers politiques de Russie se sont constituées, pour demander leur libération et le rétablissement de la liberté d'opinion et d'expression.

Emma Goldman, 1925

 

 

De la démocratie du parti, il ne reste que des souvenirs dans la mémoire de la vieille génération. Avec elle, la démocratie des soviets, des syndicats, des coopératives, des organisations sportives et culturelles s’est évanouie. La hiérarchie des secrétaires domine tout et tous. Le régime avait acquis un caractère totalitaire plusieurs années avant que le terme ne nous vint d’Allemagne. « A l’aide des méthodes démoralisantes qui transforment les communistes pensants en automates, tuent la volonté, le trotsky5.jpgcaractère, la dignité humaine», écrivait Rakovsky en 1928, « la coterie gouvernante a su devenir une oligarchie inamovible et inviolable ; et elle s’est substituée à la classe et au parti». Depuis que ces lignes indignées ont été écrites, la dégénérescence a fait d’immenses progrès. La Guépéou est devenu le facteur décisif de la vie intérieure du parti. Si Molotov a pu, en mars 1936, se féliciter devant un journaliste français de ce que le parti gouvernant ne connaisse plus de luttes fractionnelles, c’est uniquement parce que les divergences de vues y sont désormais réglées par l’intervention mécanique de la police politique. Le vieux parti bolchevique est mort, aucune force ne le ressuscitera.

Léon Trotsky, 1936

 

souvarine.jpgLa vie intérieure de la Russie dite soviétique, terme impropre car depuis longtemps les soviets ont cessé d’exister, est dominée dans les dernières années par une véritable extermination de la «vieille garde» bolcheviste, c’est-à-dire des anciens cadres politiques dont le rôle s’identifie à l’histoire même de la révolution d’Octobre. Cette immolation a lieu sous des formes diverses, par de multiples procédés au nombre desquels les récents procès de Moscou, peut-être les plus terrifiants mais non les seuls efficaces (car bien d’autres communistes et révolutionnaires de toutes nuances périssent, anonymes, par la faim, le froid, l’épuisement, la maladie, dans des bagnes de toutes sortes, sans passer par aucun appareil judiciaire).

Boris Souvarine, 1937

 

Aussi n'existe-t-il nulle part dans le monde de contradiction aussi flagrante entre la théorie officielle et la vie réelle, entre les espoirs et leur réalisation, entre les mots et les actes. Mais l'idéologie officielle est la seule admise en URSS, ce qui fait que la vie politique et sociale en Russie est pénétrée de mensonge à un degré inouï. Cela se voit à chaque pas, cela se sent chez tous les citoyens, quelle que soit leur condition, cela frappe chez l'orateur à la tribune, aux premiers mots qu'il prononce. Cette contradiction terrible m'a poursuivi tout au long des dix années que j'ai vécues en URSS.

 

Ante Ciliga, 1937

 

 

 

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