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19 avril 2021

Covid-19 : en finir avec le caporalisme sanitaire !

163501754_3642001652593914_4471710719093575908_n.jpgLe premier cas de coronavirus identifié officiellement en Belgique remonte au… 14 février 2020, il y a plus d’un an !

Établir un bilan après 14 mois d’épidémie revient inévitablement à interroger les stratégies suivies par les gouvernements et préconisées par leurs ’’experts’’. 

Aujourd’hui –les chiffres en attestent chaque jour, à commencer par le niveau de la mortalité !–, un lourd constat d’échec s’impose.

Confinement, déconfinement, re-confinement, re-déconfinement, couvre-feux diversifiés, interdictions de déplacement (à l’étranger), paralysie de secteurs entiers de la société –culture, événementiel, Horeca–, et même une campagne de vaccination (entamée fin décembre de l’année dernière), n’ont toujours pas permis de s’extraire de cette pandémie !

Pourtant rien ne change fondamentalement.

A l’issue de chaque ’’Codeco’’ le discours des gouvernants est immuable et les mêmes promesses sont sans cesse démenties, enfermant la population dans une procession d’Echternach perpétuelle : trois pas en avant, deux pas en arrière.

 

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Cette situation ne peut perdurer, car les êtres humains sont des êtres sociaux et ont besoin d’interactions relationnelles qui font sens. Or, toute vie sociale, culturelle et démocratique est durablement étouffée.

Nous avons ainsi assisté ces derniers mois au retour d’un fâcheux  ’’boulot-métro-dodo’’ comme seule perspective concrète de l’existence.

De surcroît, et c’est pour le moins inquiétant, ce nouveau ’’mode de vie’’ est imposé autoritairement par le ’’haut’’. Les mesures sont en effet décrétées 164560320_3651975691596510_7097711468564047996_n.jpgde manière ’’verticaliste’’, sans consultation de la société civile et de ses organisations, sans concertation avec les mouvements sociaux, et… sans véritable délibération parlementaire. A tel point que la justice a récemment condamné le gouvernement fédéral pour l’absence d’une assise légale à la mise en œuvre de sa ’’politique sanitaire’’ !

Ce despotisme hygiénique est combiné à un matraquage idéologique permanent, à un ’’contrôle social’’ renforcé et à des processus d’infantilisation de la population. Il suffit d’écouter la manière de s’exprimer des différents ministres au cours des conférences de presse ou dans les médias : manifestement, ils pensent s’adresser à des benêts et estiment devoir réprimander constamment de vilains garnements désobéissants.

 

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Tout aussi alarmant : derrière cette posture hautaine est agité un rude bâton répressif. Les amendes pleuvent, les poursuites judiciaires s’intensifient et les libertés démocratiques élémentaires sont restreintes, tel le droit de manifester (massivement).

La souveraineté citoyenne est une fiction : nous sommes priés de nous conformer aux directives d’un ’’sommet’’ politique sans discussion aucune !

Il devient urgent de s’engager sur d’autres voies.

En commençant d’abord par s’attaquer aux causes réelles des pandémies, même si cela prendra du temps et même si cela n’aura pas d’effets directs sur les difficultés actuelles. S’écarter d’un modèle reposant sur l’agrobusiness, la déforestation, la destruction des habitats naturels est vital. On ne peut tergiverser plus longtemps pour commencer à changer de mode de production, de consommation et d’échange. Si le cap actuel est maintenu, d’autres épidémies seront inévitables à l’avenir.

Devant ce sombre panorama, il convient également de consolider notre secteur des soins de santé sous tous ses aspects : financement, infrastructures, matériel de pointe, technologies disponibles, personnels soignants…

Et dans l’immédiat ?

 

  1. Agir au niveau des grandes entreprises qui constituent l’un des principaux lieux de propagation du virus, en renforçant la surveillance et les sanctions. Donner des moyens supplémentaires aux travailleurs et à leurs organisations pour contrôler les dispositions sanitaires mises en place, avec un droit d’initiative et de veto.
  2. Réduction généralisée du temps de travail ; mise en place de plages horaires souples (avec roulement) pour ne pas surcharger les transports collectifs et encombrer l’espace public. Accroitre l’offre en trains et en bus disponibles. Télétravail obligatoire pour les salariés dont l’outil professionnel est un ’’terminal’’.
  3. Contrer les diktats du ’’Big Pharma’’ ; brevets libres sur les vaccins ; constitution d’un pôle public du médicament ; accroissement des moyens pour le secteur de la recherche publique afin de développer des traitements efficaces.
  4. Dispositifs techniques (aérosolisation, détecteurs de CO2, plexiglas…) financés par l’Etat. Gratuité des masques. Priorité à la prévention.
  5. Renforcer la démocratie. Pas de mesures liberticides ’’d’exception’’. Pas de ’’pouvoirs spéciaux’’. Contrôle étroit de ’’l’exécutif’’ par le ’’législatif’’. Garantir la liberté de rassemblement et de manifestation.

Le moment est donc venu de tracer de véritables perspectives afin de pouvoir vivre malgré la Covid-19, et celles-ci ne peuvent être l’enfermement, la surveillance, la délation ou la punition.

Le moment est également venu d’ouvrir la voie à une profonde transformation de la société afin que le ’’monde de demain’’ ne soit pas la copie conforme des mondes ’’d’hier ou d’aujourd’hui’’.

 

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Sortir de la recherche du profit maximal immédiat et de la course à l’enrichissement individuel, de la concurrence sans entrave et des exigences de la compétitivité, du productivisme et du saccage de la planète, de l’oppression et de l’exploitation des êtres humains, des inégalités sociales monstrueuses et de la pauvreté organisée, de l’extinction de la biodiversité et du déséquilibre des écosytèmes, de la perte de la maîtrise collective du temps et de l’abandon du bien commun… Pour faire plus court : rompre avec le capitalisme !

Ce chemin sera long et escarpé. Alors, sans plus tarder, en avant…

 

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28 mars 2021

LA COMMUNE DE PARIS - 1871 [XIX]

 

DITS ET ECRITS [5]

 

C’est aujourd’hui la fête nuptiale de l’idée et de la révolution.

Jules Vallès, 28 mars 1871

 

Ces abominables communeux ont brûlé solennellement la guillotine l’autre jour. Tu vois comme ils sont sanguinaires. Ils sont superbes d’entrain, de conviction tous ces bataillons. Quelle leçon pour Trochu ! S’il avait su se servir des forces dont il disposait ! Et pourtant il n’y a pas la même unanimité que lorsqu’il s’agissait de battre les Prussiens. Les amis de l’ordre ont une tendance irrésistible à franc-filer.

Alix Payen, 10 avril 1871

 

Comprend-on ce gouvernement qui s’obstine à considérer la révolution de Paris comme le fait d’une poignée de factieux. Une poignée de factieux qui tient en échec la plus belle armée que l’on ait jamais vue, et cela depuis six semaines et ils n’ont pas fini. Ils devraient comprendre qu’il y a quelque chose au fond, une idée qui vaut la peine d’être discutée, mais non, ils sont aveugles comme tout ce qui est vieux et tout ce qui est destiné à tomber. Pour moi je crois que c’est l’enfantement laborieux d’une ère nouvelle et non point l’agonie de la France.

 Louise Milliet, 4 mai 1871

 

Mais abstraction faite de ce qu’il s’agissait d’un simple soulèvement d’une ville dans des conditions exceptionnelles, la majorité de la Commune n’était pas socialiste, et ne pouvait pas l’être. Avec une faible dose de bon sens, elle aurait pu néanmoins obtenir avec Versailles un compromis utile à toute la masse du peuple, seule chose qu’il était possible d’atteindre à ce moment-là. En mettant simplement la main sur la Banque de France, elle aurait pu effrayer les Versaillais et mettre fin à leurs fanfaronnades.

Karl Marx, 22 février 1881

 

La Commune de Paris de 1871 a été le premier essai historique –faible encore– de domination de la classe ouvrière. Nous vénérons le souvenir de la Commune, en dépit de son expérience par trop restreinte, du manque de préparation de ses militants, de la confusion de son programme, de l’absence d’unité parmi ses dirigeants, de l’indécision de ses projets, du trouble excessif dans l’exécution et du désastre effroyable qui en résulta fatalement. Nous saluons dans la Commune –selon une expression de Lavrov– l’aube, quoique bien pâle, de la première République prolétarienne.

Léon Trotsky, 1920

 

La Commune de Paris ? Ce fut d’abord une immense, une grandiose fête, une fête que le peuple de Paris, essence et symbole du peuple français et du peuple en général, s’offrit à lui-même et offrit au monde. Fête du printemps dans la Cité, fête des déshérités et des prolétaires, fête révolutionnaire et fête de la révolution, fête totale, la plus grande des temps modernes, elle se déroule d’abord dans la magnificence et la joie (…) Mais dès le début, la Fête contenait le drame ; le drame reprenait son sens primordial, fête vécue par le peuple et pour le peuple, fête colossale accompagnée du sacrifice volontaire de l’acteur principal au cours de son échec, tragédie.

Henri Lefèbvre, 1965

 

La Commune, fondement de l’analyse marxiste des révolutions, fut une révolution qui se passa de l’analyse marxiste.

Henri Lefèbvre, 1965

 

La conscience ouvrière quitta, en somme, le sillage des révolutions bourgeoises ; elle n’avait plus besoin de s’alimenter uniquement du souvenir de celles de 1789 et de 1848, elle disposait désormais d’une ‘’révolution en habit d’ouvrier’’, comme dit Vallès.

Georges Haupt, 1971

 

L’histoire complexe de la Commune prête déjà en elle-même à la pluralité des interprétations divergentes. Sa complexité, c’est celle de tout phénomène révolutionnaire inachevé qui laisse la porte ouverte à toutes les promesses qu’il n’a pas su réaliser, donc aux ambiguïtés.

Georges Haupt, 1971

 

La Commune de Paris a ouvert l’ère historique des révolutions prolétariennes et socialistes. Elle nous offre le premier exemple historique d’une véritable dictature du prolétariat. Elle a permis à Marx et à Lénine de parfaire la théorie marxiste de l’Etat. (…) La Commune de Paris a inauguré l’ère de l’expropriation des expropriateurs (…) en y instaurant un régime d’autogestion ouvrière.

Ernest Mandel, 1971

 

La Commune est morte de son isolement.

Jacques Solé, 2008

 

La Commune est un événement politique complexe, où s’articulent et se nouent des temps et des espaces discordants, et autant de motivations politiques étroitement mêlées : un mouvement de révolte patriotique contre l’occupation étrangère, un soulèvement de l’opinion républicaine contre Versailles, un mouvement de rébellion contre l’Etat parasitaire, un mouvement révolutionnaire contre la bourgeoisie, le capital. Elle est un précipité de multiples contradictions, et elle est grosse d’autant de possibles.

Daniel Bensaid, août 2008

 

Les descendants des sans-culottes de 1792, les enfants des combattants de 1848, étaient à nouveau en armes.

Chris Harman, 2008

 

La Commune n’a jamais eu de chef.

Jacques Julliard, 2012

 

Au vrai, rien n’est clair dans les événements du printemps 1871.

Jacques Rougerie et Robert Tombs, 2012

 

L’insurrection a été le fait d’une population, d’un ‘’peuple’’ composite, dont on perçoit mal ce qui fait l’unité.

Jacques Rougerie et Robert Tombs, 2012

 

Le schéma d’explication d’inspiration ‘’marxiste’’, qui faisait de la Commune un moment exemplaire de la lutte des classes a été largement réfuté, et aucun lecteur sérieux de Marx ne le reproduit aujourd’hui. En 1871, Marx ne parlait d’ailleurs pas de lutte des classes, mais de ‘’guerre civile’’. La Commune a été bien davantage.

Jacques Rougerie et Robert Tombs, 2012

 

 

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Diégo Rivera

22 mars 2021

LA COMMUNE DE PARIS - 1871 [XVIII]

 

DITS ET ECRITS [4]

 

L'antithèse directe de l'Empire fut la Commune. Si le prolétariat de Paris avait fait la révolution de Février au cri de «Vive la République sociale», ce cri n'exprimait guère qu'une vague aspiration à une république qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle-même. La Commune fut la forme positive de cette république.

Paris, siège central de l'ancien pouvoir gouvernemental, et, en même temps, forteresse sociale de la classe ouvrière française, avait pris les armes contre la tentative faite par Thiers et ses ruraux pour restaurer et perpétuer cet ancien pouvoir gouvernemental que leur avait légué l'empire. Paris pouvait seulement résister parce que, du fait du siège, il s'était débarrassé de l'armée et l'avait remplacée par une garde nationale, dont la masse était constituée par des ouvriers. C'est cet état de fait qu'il s'agissait maintenant de transformer en une institution durable. Le premier décret de la Commune fut donc la suppression de l'armée permanente, et son remplacement par le peuple en armes.

La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. Au lieu de continuer d'être l'instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l'administration. Depuis les membres de la Commune jusqu'au bas de l'échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d'ouvrier. Les bénéfices d'usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l'État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes. Les services publics cessèrent d'être la propriété privée des créatures du gouvernement central. Non seulement l'administration municipale, mais toute l'initiative jusqu'alors exercée par l'État fut remise aux mains de la Commune.

Une fois abolies l'armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l'ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l'outil spirituel de l'oppression, le pouvoir des prêtres ; elle décréta la dissolution et l'expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l'instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d'instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l'Église et de l'État. Ainsi, non seulement l'instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l'avaient chargée.

Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette feinte indépendance qui n'avait servi qu'à masquer leur vile soumission à tous les gouvernements successifs auxquels, tour à tour, ils avaient prêté serment de fidélité, pour le violer ensuite. Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges devaient être élus, responsables et révocables.

(…)

La multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a été soumise, et la multiplicité des intérêts qu'elle a exprimés montrent que c'était une forme politique tout à fait susceptible d'expansion, tandis que toutes les formes antérieures de gouvernement avaient été essentiellement répressives. Son véritable secret, le voici : c'était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l'émancipation économique du travail.

Sans cette dernière condition, la Constitution communale eût été une impossibilité et un leurre. La domination politique du producteur ne peut coexister avec la pérennisation de son esclavage social. La Commune devait donc servir de levier pour renverser les bases économiques sur lesquelles se fonde l'existence des classes, donc, la domination de classe. Une fois le travail émancipé, tout homme devient un travailleur, et le travail productif cesse d'être l'attribut d'une classe.

(…)

La classe ouvrière n'espérait pas des miracles de la Commune. Elle n'a pas d'utopies toutes faites à introduire par décret du peuple. Elle sait que pour réaliser sa propre émancipation, et avec elle cette forme de vie plus haute à laquelle tend irrésistiblement la société actuelle en vertu de son propre développement économique, elle aura à passer par de longues luttes, par toute une série de processus historiques, qui transformeront complètement les circonstances elles-mêmes. Elle n'a pas à réaliser d'idéal, mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s'effondre. Dans la pleine conscience de sa mission historique et avec la résolution héroïque d'être digne d'elle dans son action, la classe ouvrière peut se contenter de sourire des invectives grossières des laquais de presse et de la protection sentencieuse des doctrinaires bourgeois bien intentionnés qui débitent leurs platitudes d'ignorants et leurs marottes de sectaires, sur le ton d'oracle de l'infaillibilité scientifique.

Quand la Commune de Paris prit la direction de la révolution entre ses propres mains ; quand de simples ouvriers, pour la première fois, osèrent toucher au privilège gouvernemental de leurs « supérieurs naturels», les possédants, et, dans des circonstances d'une difficulté sans exemple, accomplirent leur oeuvre modestement, consciencieusement et efficacement (et l'accomplirent pour des salaires dont le plus élevé atteignait à peine le cinquième de ce qui, à en croire une haute autorité scientifique, le professeur Huxley, est le minimum requis pour un secrétaire du conseil de l'instruction publique de Londres), le vieux monde se tordit dans des convulsions de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la République du travail, flottant sur l'Hôtel de Ville.

Et pourtant, c'était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d'initiative sociale, même par la grande masse de la classe moyenne de Paris - boutiquiers, commerçants, négociants - les riches capitalistes étant seuls exceptés. La Commune l'avait sauvée, en réglant sagement cette cause perpétuelle de différends à l'intérieur même de la classe moyenne : la question des créanciers et des débiteurs. Cette même partie de la classe moyenne avait participé à l'écrasement de l'insurrection ouvrière en juin 1848 ; et elle avait été sur l'heure sacrifiée sans cérémonie à ses créanciers par l'Assemblée constituante. Mais ce n'était pas là son seul motif pour se ranger aujourd'hui aux côtés de la classe ouvrière. Cette fraction de la classe moyenne sentait qu'il n'y avait plus qu'une alternative, la Commune ou l'empire, sous quelque nom qu'il pût reparaître. L'Empire l'avait ruinée économiquement par Bon gaspillage de la richesse publique, par l'escroquerie financière en grand, qu'il avait encouragée, par l'appui qu'il avait donné à la centralisation artificiellement accélérée du capital, et à l'expropriation corrélative d'une grande partie de cette classe. Il l'avait supprimée politiquement, il l'avait scandalisée moralement par ses orgies, il avait insulté à son voltairianisme en remettant l'éducation de ses enfants aux frères ignorantins, il avait révolté son sentiment national de Français en la précipitant tête baissée dans une guerre qui ne laissait qu'une seule compensation pour les ruines qu'elle avait faites : la disparition de l'Empire. En fait, après l'exode hors de Paris de toute la haute bohème bonapartiste et capitaliste, le vrai parti de l'ordre de la classe moyenne se montra sous la forme de l' « Union républicaine » qui s'enrôla sous les couleurs de la Commune et la défendit contre les falsifications préméditées de Thiers. La reconnaissance de cette grande masse de la classe moyenne résistera-t-elle à la sévère épreuve actuelle ? Le temps seul le montrera.

(…)

Si la Commune était donc la représentation véritable de tous les éléments sains de la société française, et par suite le véritable gouvernement national, elle était en même temps un gouvernement ouvrier, et, à ce titre, en sa qualité de champion audacieux de l'émancipation du travail, internationale au plein sens du terme. Sous les yeux de l'armée prussienne qui avait annexé à l'Allemagne deux provinces françaises, la Commune annexait à la France les travailleurs du monde entier.

(…)

 La Commune a admis tous les étrangers à l'honneur de mourir pour une cause immortelle. - Entre la guerre étrangère perdue par sa trahison, et la guerre civile fomentée par son complot avec l'envahisseur étranger, la bourgeoisie avait trouvé le temps d'afficher son patriotisme en organisant la chasse policière aux Allemands habitant en France. La Commune a fait d'un ouvrier allemand son ministre du Travail.

(…)

La Commune a fait aux fils héroïques de la Pologne l'honneur de les placer à la tête des défenseurs de Paris. Et pour marquer hautement la nouvelle ère de l'histoire qu'elle avait conscience d'inaugurer, sous les yeux des Prussiens vainqueurs d'un côté, et de l'armée de Bonaparte, conduite par des généraux bonapartistes de l'autre la Commune jeta bas ce colossal symbole de la gloire guerrière, la colonne Vendôme.

La grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient qu'indiquer la tendance d'un gouvernement du peuple par le peuple. Telles furent l'abolition du travail de nuit pour les compagnons boulangers ; l'interdiction, sous peine d'amende, de la pratique en usage chez les employeurs, qui consistait à réduire les salaires en prélevant des amendes sur leurs ouvriers sous de multiples prétextes, procédé par lequel l'employeur combine dans sa propre personne les rôles du législateur, du juge et du bourreau, et empoche l'argent par-dessus le marché. Une autre mesure de cet ordre fut la remise aux associations d'ouvriers, sous réserve du paiement d'une indemnité, de tous les ateliers et fabriques qui avaient fermé, que les capitalistes intéressés aient disparu ou qu'ils aient préféré suspendre le travail.

Les mesures financières de la Commune, remarquables par leur sagacité et leur modération, ne pouvaient être que celles qui sont compatibles avec la situation d'une ville assiégée. Eu égard aux vols prodigieux commis aux dépens de la ville de Paris par les grandes compagnies financières et les entrepreneurs de travaux publics sous le régime d'Haussmann, la Commune aurait eu bien davantage le droit de confisquer leurs propriétés que Louis Napoléon ne l'avait de confisquer celles de la famille d'Orléans. Les Hohenzollern et les oligarques anglais, qui, les uns et les autres, ont tiré une bonne partie de leurs biens du pillage de l'Église, furent bien entendu, grandement scandalisés par la Commune qui, elle, ne tira que 8.000 francs de la sécularisation.

(…)

Mais, certes, la Commune ne prétendait pas à l'infaillibilité, ce que font sans exception tous les gouvernements du type ancien. Elle publiait tous ses actes et ses paroles, elle mettait le public au courant de, toutes ses imperfections.

Dans toute révolution, il se glisse, à côté de ses représentants véritables, des hommes d'une tout autre trempe ; quelques-uns sont des survivants des révolutions passées dont ils gardent le culte; ne comprenant pas le mouvement présent, ils possèdent encore une grande influence sur le peuple par leur honnêteté et leur courage reconnus, ou par la simple force de la tradition; d'autres sont de simples braillards, qui, à force de répéter depuis des années le même chapelet de déclamations stéréotypées contre le gouvernement du jour, se sont fait passer pour des révolutionnaires de la plus belle eau. Même après le 18 mars, on vit surgir quelques hommes de ce genre, et, dans quelques cas, ils parvinrent à jouer des rôles de premier plan. Dans la mesure de leur pouvoir, ils génèrent l'action réelle de la classe ouvrière, tout comme ils ont gêné le plein développement de toute révolution antérieure. Ils sont un mal inévitable ; avec le temps on s'en débarrasse ; mais, précisément, le temps n'en fut pas laissé à la Commune.

Karl Marx

 

 

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[Karl Marx, La guerre civile en France 1871, Editions Sociales (Classiques du marxisme), Paris, 1975, pages 62-74]